Julia Bauer (Leonore), Hans Christoph Begemann (Edmund von Pembroke), Bernhard Berchtold (Artur Norton), Kouta Räsänen (Richard von Somerset), Uwe Stickert (Georg), Tiina Penttinen (Irene), André Riemer (Williams), Robert-Schumann-Philharmonie et Chœur de l'Opéra de Chemnitz, dir. Frank Beermann (2011).
CPO 777 654-2 (2 CD). Notes et livret all./angl. Distr. DistrArt Musique.

Voici un enregistrement captivant qui nous permet de découvrir une facette bien peu connue d’Otto Nicolai, compositeur qui ne saurait se réduire à l’atmosphère pleine d’alacrité de ses Joyeuses Commères de Windsor. Son chef-d’œuvre comique, créé à Berlin deux mois à peine avant sa disparition en 1849, avait en effet été précédé de quatre opéras sérieux représentés dans la Péninsule entre 1839 et 1841. Donné un seul soir à la Scala, le dernier d’entre eux, Il proscritto, est l’adaptation de la pièce Le Proscrit de Frédéric Soulié que Marie Dorval avait jouée au théâtre de la Renaissance deux ans plus tôt. Manifestant en un premier temps peu d’enthousiasme face au livret de Gaetano Rossi, Nicolai s’était vu proposer en échange Nabucco (futur livret de Verdi), mais s’était ravisé en prétextant la médiocrité du scénario de Temistocle Solera… Alors que le drame original se déroulait aux environs de Grenoble en 1817, le melodramma tragico de Nicolai a comme décor l’Angleterre de 1461, au moment de la Guerre des Deux-Roses. Le proscrit du titre est lord Artur Norton, du parti de la rose blanche, exilé sept ans avant le début de l’action et porté disparu. Se croyant veuve, Leonore est sur le point d’épouser un des principaux chefs du camp adverse, le comte Edmund von Pembroke, lorsque son mari refait inopinément surface. Après bien des rebondissements, Leonore se suicide pour favoriser une hypothétique réconciliation des deux rivaux.

Nommé chef d’orchestre au Kärntnertortheater de Vienne, Nicolai y donna en 1844 son œuvre révisée sous le titre Die Heimkehr des Verbannten (Le Retour de l’exilé), qui remporta cette fois un vif succès grâce notamment à la soprano Wilhelmine van Hasselt. De passage en Autriche en 1847, Berlioz en témoigne dans ses Mémoires, où l’on peut lire que « le dernier acte, admirable sous tous les rapports, place à mon avis Nicolai très haut parmi les compositeurs. » Une troisième et dernière version, donnée à Berlin six mois après le décès du compositeur, modifie sensiblement le rôle de Leonore, beaucoup moins virtuose. Le présent enregistrement, effectué à partir de l’édition de Michael Wittmann, nous permet d’entendre la version de Vienne.

Si l’inspiration fait parfois penser à Donizetti ou au jeune Verdi, Nicolai accorde un soin tout particulier à l’orchestration. La partition réserve ainsi de superbes solos aux trois instruments associés aux personnages principaux : le hautbois (Leonore), le violoncelle (Edmund) et la clarinette (Artur). Plusieurs ensembles et chœurs ajoutent à l’intérêt d’une partition extrêmement riche qui justifie amplement sa résurrection. Après Il templario (CPO) en 2008, le chef Frank Beermann montre une nouvelle fois ses affinités avec le compositeur, dont il met en avant les grandes qualités de coloriste. Si certaines pages manquent un peu d’ardeur, c’est là péché véniel en regard de la qualité de l’ensemble. Vedette incontestable de ce coffret, Julia Bauer possède à la fois l’agilité requise pour son air d’entrée et la puissance lui permettant de dominer sans difficulté les nombreux passages dramatiques. Entre le ténor Bernhard Berchtold et le baryton Hans Christoph Begemann – le mari et le fiancé – la préférence va au premier, plus constant et raffiné dans son chant. Des interprètes secondaires, on retient surtout Uwe Stickert, merveilleux ténor au timbre suave qui incarne le frère de Leonore, Georg, avec beaucoup de panache. Succédant à Il templario, Vasco de Gama (version originale de L’Africaine de Meyerbeer) et Der Schmied von Gent de Franz Schreker, ce Heimkehr témoigne du travail remarquable qu’accomplit Frank Beermann à l’Opéra de Chemnitz.

 

Louis Bilodeau