Erica Eloff (Rodrigo), Fflur Wyn (Esilena), Anna Dennis (Florinda), Jorge Navarro Colorado (Giuliano), Russel Harcourt (Evanco), Leandro Marziotte (Fernando), Orchestre du Festival de Göttingen, dir. Laurence Cummings (live 2019).
Accent 26412 (3 CD). 2h48. Notice en français. Distr. Outhere.

Rodrigo (1707) est le premier opéra que Haendel ait composé pour l’Italie et le second de ses ouvrages lyriques à avoir été conservés. Moins baroque qu’Almira (1705), moins théâtral qu’Agrippina (1709), il servira de réservoir à mélodies au Saxon, qui y puisera pour Radamisto, Teseo, Flavio, Giulio Cesare et autres ouvrages plus muris. Le livret, qui conte la déposition de Rodéric, dernier roi wisigoth d’Espagne, par le comte Julien (sur ordre de la sœur de ce dernier, Florinda, séduite par le roi) apparaît maladroit et statique, et la distribution, qui aligne quatre sopranos, un alto et un ténor, assez monochrome. Au disque, les versions de Curtis (Virgin, 1999) et López Banzo (Ambroisie, 2007) n’enthousiasmaient guère. Poursuivant sa série d’opéras haendéliens publiés chez Accent, Cummings a choisi d’enregistrer l’œuvre sur le vif : option qui nous vaut quelques bruits parasites et décalages dus à des tempi souvent frénétiques, mais qui transfigure une partition dont les actes extrêmes ne sont pas sans faiblesses. Cummings est un haendélien dans l’âme - Paris a pu s’en convaincre lors des récentes représentations de Saül au Châtelet. Directeur artistique du Festival de Göttingen depuis 2012, il a su insuffler à son orchestre, parfois fragile (les violoncelles !), une flamme irrésistible - qui bénéficiera sans doute à George Petrou, destiné à prendre sa succession à la tête du festival. Chef vigoureux et intuitif, Cummings n’hésite pas à faire des choix, notamment au sein des parties absentes de l’autographe et restituées par Rainer Heyink : par exemple, il omet le dernier air de Rodrigo et quatre da capo, mais exhume une aria pour Giuliano (« Con voci care ») et conserve six des sept danses accolées par Haendel à l’ouverture (dont une vaste passacaille, redoutable pour le premier violon). Ses prédécesseurs confiaient le rôle-titre à une mezzo : ici, nous avons une soprano, ce qui rend parfois problématique l’identification des personnages mais restitue sa fragilité à cet anti-héros. En revanche, pour la figure assez sacrifiée d’Evanco, héritier d’Aragon, il opte pour un sopraniste - d’ailleurs remarquable, tout comme l’autre falsettiste, Marziotte. Si Colorado doit parfois forcer sa nature pour faire croire à la fureur de Giuliano et si l’élocution de Dennis, volcanique Florinda, reste embarrassée, Wyn, sans totalement faire oublier la sensible Piau (version Curtis), étincelle dans la partie ouvragée d’Esilena, la douce épouse de Rodéric. Nous ne tenons peut-être pas là l’enregistrement le plus poli de Rodrigo mais sans doute le plus émouvant.

Olivier Rouvière