Franz-Josef Selig (Sarastro), Albina Shagimuratova (la Reine de la nuit), Christiane Karg (Pamina), Klaus Florian Vogt (Tamino), Rolando Villazon (Papageno), Regula Mühlemann (Papagena), Paul Schweinester (Monastatos), RIAS Kammerchor, l’Orchestre de chambre d’Europe, dir. Yannick Nézet-Séguin (2018).
DG 4836400 (2 CD). 2h15. Notice en français. Distr. Universal. 


Décidément, la série des « grands Mozart » par Nézet-Séguin n’aura pas tenu jusqu’au bout les promesses faites par sa trilogie Da Ponte (voir Les Noces de Figaro,
Don Giovanni et Così fan tutte), plutôt probante… Ce n’est d’ailleurs pas tant le chef canadien qu’il faut ici incriminer. Certes, sa lecture ne bouleversera pas notre approche du chef-d’œuvre : on ne sait trop, d’ailleurs, si ses tempos vifs (le solo de flûte du premier finale), ses phrasés chantants (la Marche des prêtres, bien peu solennelle) et sa rythmique plutôt littérale, manquant de cette élasticité « viennoise » à laquelle nous ont habitué tant d’illustres prédécesseurs (tous les ensembles avec les trois Dames, assez ratés) signalent le désir de revenir à un certain « premier degré » naïf ou de latiniser un monument souvent confisqué par les chefs germaniques. Toujours est-il que la promenade est d’autant moins désagréable que l’orchestre est ravissant (surtout l’harmonie : écoutez le début du second finale) et le chœur carrément superlatif (« O Isis und Osiris »). La distribution, en revanche, se laissera vite oublier. Bizarrement, la déception ne vient pas tant de Villazon, dont la distribution dans le rôle de Papageno pouvait paraître incongrue : l’ex-ténor mexicain réussit une entrée plutôt sympathique, campe un personnage juvénile et attachant, même si l’absence de grave se fait sentir lors du second duo avec Pamina (« Könnte jeder brave Mann ») et si son second air (« Ein Mädchen oder Weibchen ») manque de simple truculence. Quoi qu’il en soit, il nous séduit davantage que le Tamino haut-perché et droit de Vogt ou la Reine de la nuit confuse, ni flamme, ni glace, sans vraie ligne et aux vocalises savonnées (dans son premier air ; les notes piquées du second lui vont mieux) de Shagimuratova. La façon dont Karg habite et sculpte « Ach, ich fühl’s » (auréolé de bois divins) et, plus encore, sa tentative de suicide, force l’admiration mais ne compense pas un timbre sec, mûr, pas assez lumineux pour ce personnage de jeune fille. Monostatos et Papagena passant sans se faire remarquer, les Dames s’avérant trop prosaïques et les Knaben bien sages, restent les Prêtres : on aime le suave Premier Homme armé de Levy Sekgapane, l’Orateur paternel de Tareq Nazmi et, surtout, le Sarastro viril, chaleureux, éminemment compatissant de Franz-Josef Selig, dont l’air « In diesen heil’gen Hallen » est un vrai régal (aussi bien côté chant que côté accompagnement). Des atouts qui ne suffiront pas à imposer cette version face aux références signées Karajan, Böhm, Solti, Klemperer, Beecham, Furtwängler, Levine, on en passe…

Olivier Rouvière