Viktorija Miškūnaitė (Didone), Katrin Wundsam (Enea), Carlo Vincenzo Allemano (Jarba), Pietro Di Bianco (Osmida), Diego Godoy (Araspe), Emilie Renard (Selene), Coro Maghini, Academia Montis Regalis, dir. Alessandro de Marchi. Mise en scène : Jürgen Flimm (Innsbrück, 2018).
DVD Naxos 2.110630. Notice en angl. et all. Distr. Outhere.

On connaît surtout Mercadante à travers sa production des années 1830-1840 où son langage dramatique le rapproche des grands compositeurs contemporains, Bellini, Donizetti et le jeune Verdi. Dans cette Didone abbandonata, dramma per musica de 1823, sur un livret de Tottola adapté de celui de Métastase pour Porpora et repris de nombreuses fois pendant tout le XVIIIe siècle, on découvre un compositeur à cheval entre deux époques, utilisant encore les codes du vieil opéra séria - récitatif sec, héros masculin incarné par une femme, airs de sorbet pour les personnages secondaires, airs virtuoses basés sur la « solita forma » avec un chœur uniquement masculin qui intervient pour soutenir les solistes ou commenter l’action. Son langage musical évoque le premier Rossini où seria et buffa utilisent les mêmes codes mais le compositeur démontre un métier certain et une authentique originalité dans l'orchestration et une progression dramatique bien dosée.

Dans cette version du mythe, Didon se retrouve prise entre la trahison d’Énée, personnage falot aux tourments peu crédibles, et le chantage d'Iarbas qui la menace de mort si elle ne veut pas l’épouser et lui céder son royaume. La mise en scène minimaliste de Jürgen Flimm joue habilement du second degré et de la dérision pour sortir l'action du registre conventionnel. Le décor se limite à un plateau tournant monté sur vérins avec quelques éléments scéniques - frigidaire, bétonnière - qui donnent à l'ensemble une tonalité volontairement triviale. Insistant sur un certain cynisme des personnages, il transpose l’action dans l'univers colonialiste des années 1930 suggéré par les choristes transformés en soldats de la Légion étrangère ou Énée en officier de marine. Iarbas est présenté comme un tyran sanguinaire et l’opéra s’achève sur un grand rondo pour l’héroïne tandis qu'Iarbas ivre mort et délirant viole Selene, la sœur de Didon, et assassine les personnages secondaires. Didon et lui finissent par s’entre-poignarder dans une scène d’une violence grand-guignolesque.

Sans démériter la distribution réunie par le festival d'Innsbrück manque un peu de personnalité, à l’exception de Carlo Vincenzo Allemano (Iarbas), voix un peu grise mais technique idéale pour son rôle de quasi-baryténor qui offre en outre à son personnage une extravagante présence scénique. Katrin Wundsam maîtrise parfaitement la longue tessiture de musico d’Énée et Viktorija Miškūnaitė, malgré une voix assez légère, réussit à donner une belle dimension aux scènes tragiques de la fin de l'opéra qui du reste s'échappe alors de la convention des toutes premières scènes. Du côté des comprimari, Pietro Di Bianco laisse entendre de gros problèmes d'intonation et Diego Godoy, malgré de beaux moyens, laisse une impression mitigée dans son air de sorbet où il passe étrangement d’un type d’émission à un autre. Passés quelques problèmes de justesse du côté des cors dans l’ouverture, l'Academia Montis Regalis dirigée avec efficacité par Alessandro de Marchi se révèle parfaitement adéquate dans ce répertoire inattendu et l'ensemble offre une interprétation plutôt réussie d'une œuvre tout à fait atypique.

Alfred Caron