Giuseppe Gipali (Manrique), Franco Vassallo (le comte de Luna), Marco Spotti (Fernand), Luca Casalin (Ruiz/un Messager), Roberta Mantegna (Léonore), Nino Surguladze (Azucena), Tonia Langella (Inès), Nicolò Donini (un Vieux Bohémien). Orchestre et chœur du Teatro Communale de Bologne, dir. Roberto Abbado. Mise en scène : Robert Wilson (live Teatro Farnese de Parme, 14 octobre 2018).
Dynamic 37835 (2 DVD). Notice et synopsis en ang. et it. Distr. Outhere.


Dans les notes qu’il rédige en marge de son Trouvère, Bob Wilson cherchant à justifier l’esthétique théâtrale qu’il cultivait hier avec succès dans sa Butterfly puccinienne, s’expose dangereusement à la critique. « Quand je suis à l’opéra, dit-il, je ferme souvent les yeux pour mieux apprécier la musique. » Avouons que le spectacle qu’il nous sert invite en effet à cette sage attitude. Sans que pour autant la bande son, ainsi privilégiée, ne parvienne à nous convaincre. À l’intérieur d’un espace cubique plongé dans le noir, des silhouettes tout aussi charbonnées, raides comme la justice et surmontées de visages sépulcraux blanchis à la chaux, se succèdent sans jamais se rejoindre. En contrepoint, un vieillard barbu, clone d’un Verdi plus gâteux que gâté par ce qu’il voit et entend, une nourrice à poussette et une mère de famille, le tout censé illustrer le poids du passé à l’œuvre dans ce drame. Les chœurs, coiffés de tricornes, semblent en effet autant d’ombres chinoises d’un XIXe siècle fantasmé. Intemporels et comme robotisés, les protagonistes sont quant à eux aussi inexpressifs que les chanteurs d’hier, avant la leçon de l’Actors studio, empêchés qu’ils sont d’effectuer le moindre geste. Le ballet obligé auquel le musicien avait dû se plier à Paris ? Un ridicule et interminable combat de boxe est censé en offrir une métaphore ironique.

L’oreille serait-elle pour autant à la fête ? Aucun des personnages n’est capable de faire comprendre le moindre mot de ce texte français censé induire le phrasé dans lequel le compositeur s’est efforcé de le couler. Aucun d’eux ne nous paraît dépasser une vocalité verdienne d’un étiage très moyen. À savoir, un ténor scrupuleux mais assez fruste en Manrique, une soprane encore un peu pincée et étroite pour épouser le lyrisme de Léonore, l’entrée hasardeuse d’une Azucena ensuite inégale en ses registres, un comte de Luna desservi par l’acoustique du lieu et monolithique. Ce quatuor est accompagné par les forces orchestrales de Bologne parfois brouillonnes sous l’honnête direction de Roberto Abbado, aux côtés de chœurs valeureux. La version DVD Guidarini de ce Trouvère chez le présent éditeur, quoique déjà handicapée par le volapük des interprètes, à l’exception de Sylvie Brunel, seule française de la distribution, bénéficiait néanmoins d’un plateau de meilleure tenue. Et puisque nous sommes invités à la nostalgie, réécoutons la version audio abrégée de l’opéra republiée chez Malibran et qui réunissait en 1912 les talents superlatifs des Morlet, Lapeyrette, Fontaine et Noté sous la baguette de Ruhlmann. À écouter les yeux fermés !

Jean Cabourg