Manrico Signorini (Il Cieco), Paoletta Marrocu (Iris), Paolo Antognetti (Osaka), Carmine Monaco d’Ambrosia (Kyoto), Alessandra Rossi (Dhia/une Geisha), Didier Pieri (un Chiffonnier/un Marchand), Tomaso Tomboloni, Marco Innamorati (deux Chiffonniers). Orchestra Filarmonica Pucciniana, Coro Ars Lyrica, dir. Daniele Agiman. Mise en scène : Hiroki Ihara (Livourne, Théâtre Goldoni, 16/12/2017).
Bongiovanni AB 20039. Présentation et synopsis en italien et en anglais. Distr. DOM.


Vous n’aimez pas Cavalleria rusticana ? Découvrez Iris, dont vous apprécierez les raffinements et que vous comparerez à Madame Butterfly, créé six ans plus tard. Le librettiste est le même : Giuseppe Illica, qui témoigne déjà ici de la vogue du japonisme. La jeune et innocente Iris, victime du désir d’un jeune homme riche, Osaka, est enlevée à son père aveugle par le proxénète Kyoto et se retrouve parmi des geishas. Mais rien ne la fait céder, elle résiste à Osaka et, maudite par son père, se jette par la fenêtre. Naturalisme glauque, surtout quand Kyoto expose Iris comme une marchandise ? Non : à son réveil, le Soleil l’emmène en son royaume, sur lequel s’était ouvert l’opéra. Le symbolisme change la perspective, le rêve se mêle à la réalité – dans la maison de plaisir, Iris croit reconnaître en Osaka le fils du Soleil qu’elle a vu au cours d’un spectacle de marionnettes. Elle n’est décidément pas Cio Cio San.

Le « vérisme » de Mascagni se pare ici de grandes subtilités harmoniques et orchestrales, de coloris parfois impressionnistes, sans tomber dans les facilités de l’exotisme – à peine suggéré dans la scène des marionnettes du premier acte, où s’anticipe le destin de la petite héroïne. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le début de l’œuvre et l’introduction du troisième acte, avant que les chiffonniers ne s’affairent au milieu des égouts. Le lyrisme n’en coule pas moins à flots et le duo du deuxième acte, où la jeune fille et le jeune homme ne peuvent se rejoindre, vaut tous ceux des grands opéras italiens de l’époque.

À Livourne, chez Mascagni, Hiroki Ihara annexe Iris à un certain théâtre oriental, à l’exotisme stylisé, au réalisme naïf, avec de jolis costumes et de beaux éclairages… et des personnages qui trottinent selon la bonne tradition. On est bien loin du Regietheater ! Mais cela fonctionne bien, sauf quand il faut passer de l’archétype au personnage de théâtre : Kyoto est souvent planté sur la scène. Les voix assurent, très honnêtement, sans nous offrir la version du siècle. Probe et touchante, Paoletta Marrocu séduirait davantage avec une voix plus fraîche et moins indurée dans un grand rôle où il faut avoir entendu Magda Olivero. Reprochera-t-on à Paolo Antognetti d’être seulement solide et de manquer de souplesse ? Osaka doit affronter une écriture très tendue et cantonnée à la zone dangereuse du passage. Carmine Monaco d’Ambrosia est bien l’odieux proxénète, auquel on ne demande pas la voix de Rigoletto, mais le père aveugle de Manrico Signorini manque de relief. Le problème de la production, à vrai dire, réside dans la direction de Daniele Agiman, souvent languissante et prosaïque, dont on n’attendra pas la révélation de ces beautés qui font d’Iris un chef-d’œuvre de Mascagni. En attendant mieux, prenons ce premier DVD.

Didier van Moere