Inka-Kantate Töchter der Sonne, Tarkmann : Katharina Held (soprano), Maria Rüssel (alto), Ulf-Guido Schäfer (Clarinette)
Savitri, Holst : Lena Kutzner (Savitri), Benjamin Bruns (Satyavan), Ryszard Kalus (La Mort)
Mädchenchor Hannover, Arte Ensemble Hannover, dir. Gudrun Schröfel (2018).
Coviello Classics COV 91903. 1h20’. Distr. UVM Distribution.

 

L’exotisme fut de tout temps et de toute forme en musique. En voici, distants d’une centaine d’années en ce qui concerne leur époque de création, et regroupés ici par leur besoin d’un chœur féminin, deux exemples dont l’un fait le bonheur des amateurs de musique anglaise depuis un siècle, tandis que le second n’a connu jusqu’à présent qu’une carrière allemande récente.  

Gustav Holst eut tôt sa période indienne, aux premières années du XXe siècle. En restent une pièce pour piano et violon, Maya, une suite pour orchestre, Indra, un poème symphonique, des Hymnes du Rig Veda, et cet opéra de chambre, Savitri, qui conte, sur un livret du compositeur tiré, grâce à sa connaissance du sanskrit, du Mahabarata, le triomphe de l’amour sur la mort. Pas grand-chose de « tristanesque » cependant dans cette partition d’une trentaine de minutes. De fait, il s’agissait pour le jeune Holst d’en finir avec ce modèle alors étouffant, et son orchestration pour 12 instruments est une bouffée d’air frais par rapport à l’époque de sa composition - vers 1908 - toute obsédée par l’hypertrophie de la masse orchestrale. Mais le grand lyrisme de l’écriture vocale assez opulente ne sort pas encore vraiment du carcan de la vocalité post-romantique, et c’est tant mieux. Car l’ensemble est d’une belle richesse sonore, pleine d’atmosphère (la forêt indienne, un bûcheron, sa compagne, et la Mort qui vient chercher son tribut, et cède finalement au vœu de la jeune femme, façon Alceste, de racheter la vie de son compagnon), où les voix ceintes d'un délicat halo orchestral sont de parfaits moyens d’expression. Si l’œuvre n’est pas un marqueur de son époque, c’est là un beau premier essai, qui n’a rien à voir avec l’emphase sonore des fameuses Planètes qui ont fait la fortune et le renom de leur auteur. Deux enregistrements « authentiques » - parce qu’anglais - permettaient d’accéder à ce petit trésor : celui d’Imogen Holst, avec Janet Baker, Robert Tear et Thomas Hemsley, référentiel encore (Decca) et celui de Richard Hickox, avec Felicity Palmer, Philip Langridge et Stephen Varcoe (Helios). Celui de l’équipe de Hanovre ne démérite en rien, sachant créer l’atmosphère requise, et mettre en valeur les voix d’une superbe qualité de Lena Kutzner, dont on devine à la chair du timbre qu’elle ira loin - même s’il s’agit ici un choix étonnant pour un rôle plus centré sur la vocalité d’un mezzo, parfaitement assumé par la chanteuse -, et de Benjamin Bruns, le ténor allemand qui monte aujourd’hui entre Bayreuth et Salzbourg, et la belle voix profonde de la basse germano-polonaise, Ryszard Kalus. Ici, le chœur féminin reste en retrait, ne participant que pour créer l’ambiance de la forêt pleine de la présence des dieux.

Andreas N. Tarkmann est lui un compositeur allemand, né en 1956, qui a œuvré sur de nombreux arrangements pour ensembles instrumentaux - on lui connaît une orchestration des Wesendonck-Lieder - avant de sa lancer dans la composition d’ouvrages lyriques pour la jeunesse, comme La Belle au bois dormant, Le Voleur Hotzenplotz et Le Secret de Didon, un « KrimiOper » composé pour le Chœur de jeunes filles de Hanovre.  Sa direction demandant une seconde œuvre à leur destination, l’intérêt du compositeur s’est porté sur un autre exotisme, moins exploité, celui de la culture inca et des Filles du Soleil, ces vierges réservées au culte de l’astre au Machu Picchu et dans d’autres lieux. En naquit une cantate évoquant la vie, les interrogations, les angoisses et les joies de ces moniales recluses. L’écriture chorale est brillante, parfaitement tonale, enjouée ou attristée, pour susciter contraste et intérêt dans ces 16 pièces courtes. L’orchestration, où l’on sent un peu l’influence de Ginastera et de la culture musicale du Nouveau Monde, mais sans qu’elle s’impose comme la nature même de l’œuvre qui reste bien européenne, est tout aussi raffinée. À noter les interventions virtuoses de la clarinette dans trois de ces pièces qui n’ont pas vocation scénique, mais dont le but est bien d’offrir à de jeunes chœurs l’occasion de montrer leurs qualités d’ensemble. L’enregistrement des dédicataires le fait fort bien, et la direction de Gudrun Schröfel magnifie aussi bien les sonorités orchestrales que chorales. Un fort beau disque.

 

Pierre Flinois