Louise Alder (la Renarde), Simon Neal (le Garde-Chasse), Joanna Krasuska-Motulewicz (la Femme du Garde-Chasse, la Chouette), Jenny Carlstdet (le Renard), Sebastian Geyer (Harasta), Beau Gibson (l’Instituteur), Michael McCown (l’Aubergiste), Magnus Baldvinsson (le Pasteur), Solistes, Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Francfort, dir. Johannes Debus (avril-mai 2016).
Oehms OC 982 (2 CD). Livret et synopsis en anglais et allemand, livret en tchèque et en allemand. Distr. Outhere.

Heureuse Petite renarde, chaque théâtre la veut, on préfère son naturalisme même malgré la mort de la Renarde, aux huis clos de Katia Kabanova ou de Jenufa. Cette parabole du destin humain par translation anthropomorphique sera finalement devenue pour le XXIe siècle l’œuvre favorite de Janacek, comme si son panthéisme subtil se trouvait en parfaite harmonie avec la conscience écologique de notre ère. 

L’Allemagne n’a jamais été avare en productions, la belle traduction de Max Brod lui assurant une seconde patrie, mais même les théâtres d’outre-Rhin préfèrent aujourd’hui l’original en langue tchèque. L’Opéra de Francfort y assemble une distribution internationale si consciente des particularismes de l’idiome tchèque que cela suffirait à prouver le rayonnement de l’univers Janacek sur tous les opéras du globe, mais il y a plus ici.

La fraîcheur piquante de la direction de Johannes Debus, si vive, si franche de couleurs, évoque le panthéisme radieux qu’y déployait Neumann, la forêt est divine, poétique en diable, les noces éclatantes (et soudain l’orchestre opulent, un vrai orphéon), le village délicieusement croqué, sans aucune charge mais avec de vrais trognes (Beau Gibson, Instituteur inénarrable), rien ne vient interrompre l’émerveillement du conte et la mort elle-même, ultime bravade, se poétisera dans le grand monologue du Garde-Chasse, admirablement mené par le baryton sombre de Simon Neal, épitaphe de la Renarde célébrée dans l’exaltation de la Nature.

Le ton tragique qui ouvre le troisième acte avec son clairon menaçant, sa timbale âpre, fait de la chanson de Harasta (Sebastian Geyer, rogue, amer), instrument du destin, une terrible mise en garde : le piège est disposé, le destin va frapper à l’aveuglette et pourtant juste ; Fine-oreille va périr après le festin de ses enfants, génialement caractérisé  par les petits francfortois, et sa mort sera douce. Foudroyée, elle poudroie encore un léger rire, ultime élégance d’une lecture qui n’aura pas fait entendre un seul coup de feu. Puis l’orchestre s’envolera dans un rai de ce soleil d’automne que Janacek aura su si parfaitement capturer. 

La scène avive tout cela, quitte à faire le poulailler un peu désordonné avant et après l’exorde de Bystrouska – qui est de gauche, et plutôt anar – peu importe, c’est la vie même, et quel grain fruité que celui du soprano de Louise Alder où passe le souvenir des diaprures de Lucia Popp.

Magnifique version sans apprêt, rugueuse, savoureuse, une immersion dans la forêt morave, qui s’ajoute sans trembler à une discographie relevée. 

Jean-Charles Hoffelé