Into the Little Hill : Hila Plitmann (la Foule, l’Étranger, le Narrateur, l’Enfant du Ministre), Susan Bickley (la Foule, le Narrateur, le Ministre, l’Épouse du Ministre), London Sinfonietta, dir. George Benjamin.
Flight : Michael Cox (flûte)
Dream of the Song : Bejun Mehta (contreténor), Royal Concertgebouw Orchestra, Nederlands Kammerkoor, dir. George Benjamin.
Nimbus NI 5964. Présentation en anglais. Distr. Wyastone.

 

Il aura fallu du temps à George Benjamin pour s’aventurer sur les terres de l’opéra. Le « conte lyrique » Into the Little Hill constituait en 2006 une étape initiatique sur laquelle, à la faveur de l’actualité bouillonnante du compositeur, les projecteurs sont de nouveau braqués. Un temps isolée au sein du catalogue du compositeur, cette œuvre ne l’est plus, et il est tentant d’y scruter les prémisses des deux opéras composés depuis lors.

Deux chanteuses se partagent les rôles d’un livret extrêmement condensé (Martin Crimp, déjà) qui prolonge le thème du joueur de flûte de Hamelin de résonances politiques mais, fort adroitement, suggère bien plus qu’il n’affirme. Cet enregistrement récent offre une alternative à une version précédemment enregistrée pour le même label et toujours disponible, et si des différences, concernant surtout les voix solistes, sont manifestes, la forte personnalité de l’œuvre tend à les minimiser. Cependant, les voix très typiques d’Anu Komsi et Hilary Summers (NI 5828), étant celles de la création et celles qui incarnaient jusque-là sans partage l’œuvre au disque, lui restent fortement associées. La soprano Hila Plitmann et la contralto Susan Bickley adoptent ici un timbre moins rêche pour camper une foule exigeant l’extermination des rats, rendent moins rocailleuse la prononciation des r, sans pour autant grever la dureté d’une projection franche et sans vibrato, prescrite par la partition. Sous la direction du compositeur, le London Sinfonietta laisse plus de place à l’arrière-plan harmonique et aux contrechants que ne le faisait l’Ensemble Modern. Lors de la scène de la première rencontre entre le Ministre et l’Étranger (IV), le son doux mais totalement non vibré des deux cors de basset produit, avec la voix de Susan Bickley au bord du chuchotement, une remarquable tension dramaturgique, exacerbée par la douceur. Bien qu’elle soit manifestement un choix validé par le compositeur, la mise en exergue du principe d’auto-narration – qui n’était alors pas une première pour le librettiste mais offrait au compositeur un atout maître – pourra sembler un peu trop appuyée.

Climax émotionnel de l’œuvre, l’interlude (V) en est aussi le centre structurel. Benjamin a réussi le tour de force de concentrer davantage encore dans ce moment de douceur toute la violence non dite du conte. La mélopée confiée à la flûte basse, qui traverse tout l’interlude non sans rappeler les inflexions d’un rāga joué au bansuri, est assurément ici entre de bonnes mains, en l’occurrence celles de Michael Cox, qui interprète par ailleurs la jolie – quoique assez classique – pièce Flight donnée en complément de programme. On tend cependant à lui préférer la suavité encore plus envoûtante, parfaitement en situation étant donné le sujet, dont l’enveloppait Dietmar Wiesner. Çà et là, la sauvagerie un peu surjouée qu’adopte le narrateur pour commenter la réélection du Ministre (VI) ainsi qu’une voix d’alto moins dense et moins magnétique (VII) portent notre préférence vers le premier enregistrement, même si les duos sont ici parfaitement homogènes.

De façon générale, et sans doute aussi en raison d’une prise de son plus précise, on goûte dans la présente version une grande transparence polyphonique des parties instrumentales, la limpidité des textures ne nuisant jamais à leur organicité ni à leur respiration. La composition très particulière de l’effectif (avec entre autres cors de basset, cornets, mandoline, banjo et cimbalom) nécessite un équilibre très précis pour que son astringence, certes voulue, ne soit pas la seule option possible, et la palette de teintes est ici contrôlée tout en finesse.

Outre la pièce pour flûte solo, le complément de ce programme inclut la pièce Dream of the Song (2014-2015) pour contreténor, chœur de femmes et orchestre. Sur fond de textes de poètes juifs andalous du XIe siècle et du Diván del Tamarit de García Lorca, c’est principalement un univers de lignes mélodiques très ornementées et souples qui se déploie dans un environnement translucide et résonant, directement réminiscent de l’opéra Written on Skin. La voix extrêmement souple de Bejun Mehta porte idéalement cette matière ductile et vivante.

Pierre Rigaudière