Simone Alaimo (Issàchar), Fernanda Costa (Leila), Dino Di Domenico (Adèl-Muza), Armando Caforio (Ferdinando), Paola Bidinelli (Isabella), Francesco Piccoli (Grand Inquisiteur, Boabdil-El-Chich), Orchestre symphonique de San Remo, Chœur F. Cilea de Reggio Calabria, dir. Massimo de Bernart (live, Savona, 29-31 oct. 1989).
CD Bongiovanni 2089-90-2. Livret, notice et synopsis ital./angl. Distr. DOM.

L’histoire a oublié le nom de Giuseppe Apolloni (1822-1889), cadet de Verdi de neuf ans et dont le premier ouvrage représenté fut Adelchi, en 1852. Suivit cet Ebreo (L’Hébreu), créé avec grand succès en 1855 à La Fenice de Venise et dont le livret par Antonio Boni s’inspire de Leila, ou le Siège de Grenade de Bulwer-Lytton (1838). Mage de l’émir de Grenade Boabdil, l’hébreu Issàchar voit sa fille Leila tomber amoureuse du musulman Adèl-Muza puis être capturée par Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille ; pour empêcher son baptême catholique, il la sacrifie.

La partition n’est pas exempte de beautés, et même parfois d’un certain souffle. Avec son rôle-titre destiné à un baryton-père déchiré et représentant d’une nation meurtrie, et dès sa grande scène « Africa ! Spagna ! » qui amorce le Prologue, on sent bien qu’Apolloni se place dans l’héritage de Verdi. On trouvera ici des chœurs de couleur locale (« Sulle guzle », qui lorgne vers « Noi siamo zingarelle ») et démultipliés (musulmans du prologue puis hébreux clandestins ou espagnols catholiques), un ténor panache au vent (Adèl-Muza, avec encore un peu de Donizetti dans la cabalette…), une Leila qui ne déparerait pas, dans certaines pages, devant la Leonora du Trouvère à venir (et fut créée par la première Lady Macbeth, Marianna Barbieri-Nini !) et doit affronter une cabalette en boléro brillant (III), un grand air pour basse dévolu au roi Ferdinand, et autres scènes de duels sur fond de litanies liturgiques…

En 1989, le Teatro Chiabrera de Savona ressuscitait L’Ebreo pour célébrer le centenaire de la mort du compositeur. Le chef Massimo de Bernart le reprendrait d’ailleurs l’année suivante au Festival Radio France de Montpellier, avec toujours Simone Alaimo dans le rôle-titre, mais Michèle Lagrange en Leila et Ramón Vargas en Adèl-Muza (et Natalie Dessay en Isabella). À Savona, les troupes ne manquent pas de vaillance, celle de la baguette d’un de Bernart inspiré et convaincu. Mais les chœurs et l’orchestre sont trop souvent défaillants (tant dans la mise en place que dans la justesse), et la distribution sous-dimensionnée : Simone Alaimo est trop court et clair pour Issachàr et ses éclats terribles ; Fernanda Costa, bien trop légère pour Leila dont elle ne sert joliment que l’élégie et l’ornement mais, faute de médium et de soutien, ne peut emplir tout le personnage vocal ; Grand Inquisiteur sans poids, Roi profond mais un peu droit, seul Di Domenico paraît taillé pour Adèl-Muza, même si la soirée lui réserve quelques limites.

Une version d’attente (déjà éditée en 1989), en soi peu satisfaisante mais dont le grand mérite est de faire redécouvrir l’œuvre et de donner envie qu’une production et de vrais moyens rendent tout son lustre à cet Ebreo.

Chantal Cazaux