Leandro Marziotte (Flavio Crispo), Dana Marbach (Elena), Alessandra Visentin (Fausta), Silke Gäng (Imilee), Nina Bernsteiner (Gilimero), Tobias Hunger (Massiminiano), Ismael Arróniz (Costantino), Il Gusto Barocco, dir. Jörg Halubek.
CPO 555 111-2 (3 CD). 2016. 3h17. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.

 

Johann David Heinichen (1683-1729) est surtout connu des mélomanes pour ses concertos a molti stromenti  (« à plusieurs instruments »), conçus pour faire valoir le magnifique orchestre de l’électeur de Saxe et roi de Pologne, Auguste II dit  « le Fort », à Dresde, dont Heinichen prit la tête en 1717 (et qui comptait dans ses rangs rien moins que Weiss, Zelenka, Pisendel, Veracini et Quantz !). On oublie que c’est en Italie, où il avait entrepris de sa propre initiative un long voyage de formation (1710-1716), que Heinichen rencontra son futur patron – en Italie où il se perfectionna surtout dans l’art lyrique, prenant exemple des ouvrages de Pollarolo, Gasparini et du jeune Vivaldi, dont l’influence est partout sensible dans Flavio Crispo (1719). Cet opéra est le seul de ceux de Heinichen à nous être parvenu presque complet, bien qu’il n’ait jamais été achevé ni représenté : peu avant la création, le souverain congédia la troupe de chanteurs italiens, trop turbulents à son goût (et Haendel en profita pour engager le contralto Senesino). En dépit de petites coupures, ce sont tout de même trois heures de musique que nous découvrons ici, fusion réussie, bien que parfois un peu fade (trop de mélodies dansantes en majeur) des styles italien et allemand, enrobant de complexes intrigues à la cour de Constantin (dont le fils, Crispo, est convoité par son horrible belle-mère, Fausta, et haï du frère de cette dernière, Massiminiano). On ne s’étonnera pas d’être surtout séduit par l’art instrumental de Heinichen, qui brille aussi bien dans deux trépidantes ouvertures à l’italienne que dans l’accompagnement de certains airs : si les cors et les flûtes sont très sollicités, le compositeur tente aussi d’autres mariages de couleurs, comme dans les soli d’Elena (« In veder l’altrui piacer » où le trio des hautbois et basson congédie les cordes ; « Io vorrei saper d’amore » qu’ensorcellent luth et pizzicatos). L’interprétation est hélas modeste. Il Gusto Barocco sert efficacement cette écriture scintillante, mais le chef se cantonne trop dans la joliesse, oubliant, au moins jusqu’à l’Acte III, de servir expression et théâtralité. La distribution vocale reste très inégale : deux altos (Gäng, Visentin) grinçantes - la seconde frôlant carrément la catastrophe dans « Crude porte disseratevi » -, une basse (Arróniz) dépassée par l’exigence de sa partie, une seconde soprano (Bernsteiner) aux pénibles ports de voix, un ténor (Hunger) correct mais bien peu latin, un contre-ténor (Marziotte) agile mais plutôt mièvre. Reste l’excellente soprano Dana Marbach, à la fois sensible et mordante – mais nos deux coeurs sanctionnent surtout le plaisir de la découverte...

Olivier Rouvière