Delphine Galou (Giustino), Emöke Baráth (Arianna), Silke Gäng (Anastasio), Verónica Cangemi (Leocasta), Arianna Vendittelli (Amanzio), Emiliano Gonzalez Toro (Vitaliano), Alessandro Giangrande (Andronico, Polidarte), Rahel Maas (Fortuna), Accademia bizantina, dir. Ottavio Dantone.
Naïve (3 CD). 2018. Notice en français. Distr. Naïve.


Vingtième opéra de Vivaldi, Il Giustino est créé à Rome au cours du carnaval de 1724, juste après Ercole sul Termodonte (récemment reconstitué par Fabio Biondi) et avec la même distribution, exclusivement masculine. On ne sait si le Prêtre roux eut le choix du livret, qui conte l'accession fulgurante du cultivateur Justin au trône de Byzance - via, tout de même, un combat avec un ours puis un dragon, et des campagnes militaires contre deux usurpateurs différents ! Ce drame, que Haendel reprendra en 1737, était déjà ancien (il datait de 1683) et, selon le goût vénitien du XVIIe, faisait la part belle aux scènes spectaculaires, multipliait les personnages (une dizaine), les péripéties et donc, les morceaux. De fait, il s'agit de l'une des partitions les plus copieuses de Vivaldi, avec une quarantaine de numéros musicaux, qu'hélas l'auditeur connaîtra déjà presque tous puisqu'ils furent soit empruntés à des œuvres précédentes (Ottone in Villa, Armida, La verità in cimento, Tito Manlio, etc.), soit inclus dans les ouvrages suivants (Orlando, Farnace) - voire, souvent, les deux... La distribution comptait sept castrats (aux tessitures assez semblables) et deux ténors, dont le compositeur n'exige pas des prodiges mais qu'il accompagne richement, déployant l'effectif polychrome des flûtes, cors, hautbois, trompettes et basson, ainsi que du rare psaltérion, pour l'air du rôle-titre qui clôt l'Acte II. Dès l'ouverture, très travaillée, avec ses pauses dramatiques, son rubato et ses vigoureux contrastes dynamiques, on sent Dantone désireux d'empoigner cette musique qui ne brille pas toujours de l'éclat du génie, d'en tirer tout le suc, quitte à barioler le continuo, à jouer des effets sonores (l'ours grogne, le dragon mugit, la mer s'enfle), à insérer quelques fanfares, ainsi qu'une jolie mais bizarre chaconne (pour l'entrée de Giustino), quitte aussi à couper quelques brefs da capo. Son orchestre, très supérieur à ceux de ses devanciers (Curtis chez Virgin et Velardi chez Bongiovanni, tous deux en 2002), est superbe, et sa distribution plutôt glamour, même si l'on regrette que les timbres italiens y soient minoritaires (ce qui nous vaut trop de voyelles fermées). Passons sur une Fortune bien pointue et une Leocasta à la gorge serrée pour nous amuser de la double prestation d'Alessandro Giangrande, tantôt contre-ténor (Andronico), tantôt ténor (Polidarte - moins convaincant) et nous féliciter de la rigueur technique de Silke Gäng (dont le timbre plat n'est cependant en rien celui d'une alto) et d'Arianna Vendittelli (manquant encore de liberté). Delphine Galou campe un Giustino un peu austère, aux couleurs froides, mais à la divine musicalité (remarquable « Bel riposo »). Surtout, Emöke Baráth est une Arianna dosant idéalement sensualité et noble pudeur tandis qu'Emiliano Gonzalez Toro, dont le bas registre s'est affermi, étincelle de mille feux dans le rôle du brutal Vitaliano (ses airs, qui seront repris dans Farnace, comptent parmi les temps forts du disque). On notera l'habile travail effectué sur les cadences (trop souvent abandonnées à des interprètes sans imagination), rodées sans doute lors du concert du Festival de Beaune. S'il vous faut un Giustino, optez pour celui-ci....

Olivier Rouvière