Fritz Krauss (Tannhäuser), Trude Eipperle (Elisabeth), Inger Karén (Vénus), Sven Nilsson (Le Landgrave Hermann), Rudolf Dittrich (Walther von der Vogelweide), Karl Schmitt-Walter (Wolfram von Eschenbach), Richard Bitterauf (Biterolf), Max Osswald (Heinrich), Alexander Welitsch (Reinmar von Zweter), Chœurs et Orchestre du Reichsenders Stuttgart, dir. Carl Leonhardt (1937)
DiscMedi Blau DM 636 02 (3 CD).


C’est comme toujours, vu l’époque, un document . Et celui-ci permet d’apprécier une fois encore la direction de Carl Leonhardt – puisqu’on lui connaît déjà un Hollandais de 1936 et une Walkyrie quasi complète de 1937 avec le même Fritz Krauss, tous avec les forces de la Radio de Stuttgart, parfaitement conduites d’une battue classique et généreuse, plus portée vers la grandeur que vers le son original XIXe qu’on recherche aujourd’hui dans les premiers Wagner.

C’est aussi que le son orchestral est exposé très en premier plan et en devient parfois même trivial, mais l’Ouverture a une vraie atmosphère, la Bacchanale est très enlevée. Ce sont les chœurs qui souffrent quelque peu de la prise de son, d’abord lorsqu’ils sont lointains puis quand, installés au premier plan, ils renvoient, comme les voix solistes ensuite, l’orchestre au second, sans qu’il perde de sa mobilité et de son allant.

Côté voix justement, c’est l’occasion aussi de retrouver des voix bien oubliées, et au style en fait assez vieilli, si l’on compare à ce qui se chantait à la même époque Outre-Atlantique. Ainsi la Vénus, un rien traînante, en rien déesse, mais considérable voix sombre, sonore, au grave profond, à l’aigu dardé, que rien n’arrête : Inger Karén von Zarembskij ne fut-elle pas Erda à Bayreuth, et Kundry, Ortrud, et même la Brünnhilde de Siegfried aux Festivals de Zoppot de 1936 à 1941 ? Le Tannhaüser de Krauss aussi a le style désuet, assez pataud, mais l’instrument étonne, tant il est vaillant, sain et sans vrai problème technique. Difficile cependant d’imaginer que 14 ans plus tôt il chantait Ferrando à Salzbourg ! Mais la façon dont il décrit l’Italie au Récit de Rome fait imaginer un peu de son passé.

Face à lui, l’Elisabeth de Trude Eipperle : elle fut, après Stuttgart, en troupe à Munich, et conclut sa carrière par une Eva à Bayreuth en 1952, succédant à Schwarzkopf, rien de moins ! On connaît aussi son Irene (de Rienzi) de 1950 avec l’excellent Zillig, et son Elisabeth déjà par un live de 1949 dirigé par Kurt Schröder, jamais édité en CD, et encore son Elsa de 1951 avec Richard Kraus. L’avantage est ici de l’entendre en son été, timbre charnu, un rien minaudant, mais capable de tenir le duo du II sans problème, et plus encore de dominer le grand ensemble choral du concours. Et la prière est de belle venue, sinon d’un déchirement de grande dramatique. Très beau enfin, le magnifique Wolfram de Karl Schmitt-Walter, mâle, mais très charmeur aussi, abusant presque du legato, et sachant ce qu’est un phrasé, et tout simplement l’art du chant wagnérien sans excès. Le beau Landgrave de Sven Nilsson, et la cohorte des Minnesänger parfaitement adéquate et bien différenciée complètent l’ensemble, où un Pâtre (non crédité) semble bien interprété par une voix d’enfant, chose rare à l’époque.

Certes, on ne chante plus Wagner de cette façon, on y met plus de nuances, d’intériorité, moins de brillant (quand on peut) mais à cette évidence vocale générale, on ferait aujourd’hui une fête folle. Cela s’écoute donc avec un certain plaisir, distancié, mais réel.

Niveau zéro éditorial, présentation en espagnol, qui nous apprendra que Hermann est Landgrave de Tübingen, une première !

Pierre Flinois