Albina Shagimuratova (Semiramide), Daniela Barcellona (Arsace), Marco Palazzi (Assur), Barry Banks (Idreno), Gianluca Buratto (Oroe), Susana Gaspar (Azema), David Butt Philip (Mitrane), James Platt (l'ombre de Nino)
Opera Rara chorus, Orchestra of the Age of Enlightenment, dir. Sir Mark Elder
Opera Rara ORC 57 (4 CD). Distr. Warner


Il s’agit sans doute de la plus complète des intégrales de cet opéra, longtemps victime de fâcheuses coupures – Alberto Zedda en proposait en 1992 le premier enregistrement in extenso, conforme à l'édition critique de Philip Gossett publiée deux ans auparavant. En un peu moins de quatre heures, Elder et son orchestre des Lumières prolongent cette recherche d'authenticité bien dans l'air du temps ; ou du moins s'y essaient-ils avec leurs instruments dits « d'époque », au premier rang desquels se trouvent les cors naturels, convoqués dans la célèbre ouverture et réchauffant de leurs sonorités cynégétiques le maniérisme de la direction musicale. L'ouvrage trouvera néanmoins dans la battue au petit point d’Elder le supplément d'engagement et de dynamisme suffisant à gonfler les voiles de l'embarcation musicale.

Comme trop souvent, la philologie de l'interprétation vocale est beaucoup plus problématique, à commencer par celle d'Albina Shagimuratova, un soprano au timbre clair plutôt associé par Rossini à la candeur virginale d'une Amenaide de Tancredi, quand le rôle de Sémiramis, écrit pour la Colbran, requiert une couleur et un ambitus de mezzo aigu. Le romantique Bonynge avait, certes, haussé la tonalité de Bel raggio lusinghier, mais il savait pouvoir compter sur le médium corsé du drammatico d’agilità de Sutherland, pourtant jugée à l'époque trop évanescente. La cantatrice russe, démunie d'un pareil atout, ouvre quant à elle son émission, vocalise sans l'arrogance attendue et culmine sur un contre-fa qui n'est que bluffant. Son duetto avec Arsace, tout comme les menaces qu'elle brandit contre Assur au début du deuxième acte, sont empreints d'une semblable immaturité vocale et psychologique. La cruelle fondatrice de Babylone vous a ici trop souvent des accents d'innocente amoureuse… Il faudra attendre le grand duo avec ce fils tragiquement retrouvé pour que, partagée entre joie et effroi, elle soit enfin portée à galber la ligne de son chant.

Dès son entrée, le contralto de Daniela Barcellona semble pareillement démuni de vrai soutien, le vibrato trahissant d'emblée une certaine fatigue chez cette vocaliste par ailleurs en règle avec l'écriture et la poétique rossiniennes. Sa cabalette flottante ne tire sa jubilation que des cordes sémillantes d'un orchestre rompu à l'alacrité des rythmes baroques. La suite la verra toujours bien adaptée à son rôle mais en-deçà de nos attentes, notamment dans l'expression de son « Si vendetta ! » à l'endroit du criminel Assur. Le crescendo sidérant qui couronne le grand duo anthologique appelait ensuite une tout autre énergie. En Assur, le jeune Marco Palazzi joue de son registre de basse belcantiste avec une pertinence vocale et théâtrale. Idreno a, quant à lui, peu de chances de conquérir la timide Azema avec un timbre pincé aussi vilain et des aigus à ce point serrés, au gré de volatines hystériques. Le reste du plateau ne dépare pas un ensemble au total bien moyen, les chœurs s'appliquant néanmoins à l'italianità. Comme toujours, Opera Rara a soigné la présentation d'un coffret riche d'une étude musicographique détaillée...mais sans traduction autre que celle de l'argument.

Jean Cabourg.

... traduction que le lecteur pourra trouver dans notre édition de Sémiramis / L'Avant-Scène Opéra, n° 184