Huelgas Ensemble, dir. Paul Van Nevel (2016).
CD DHM 88985338762. Notice en français. Distr. Sony.

Premier opéra composé par une femme et publié l’année même de sa représentation à la cour des Médicis de Florence, cette Libération de Roger de l’île d’Alcine (1625) a fait l’objet d’un récent enregistrement (Glossa, 2016, dir. Elena Sartori) auquel on ne peut manquer de comparer celui-ci. Précisons tout de suite que les deux versions ont opté pour une réalisation assez riche, réclamant une vingtaine d’instrumentistes, et se retrouvent sur bien des choix, légitimés par les habitudes d’époque : celui des saqueboutes pour soutenir Neptune, au Prologue, ou des flûtes pour les épisodes pastoraux. On notera, chez Van Nevel, l’absence des cornets, ainsi qu’un recours moins discret aux percussions et aux violes (la présence insistante du clavecin doit, elle, être imputée à la prise de son). Côté direction proprement dite, Van Nevel penche pour une interprétation « concertante » plutôt qu’ « opératique », retenue, étale, voire appliquée (d’où la répartition en deux CD), qui ne rend pas totale justice à un recitar cantando d’autant plus difficile à vivifier, chez Francesca Caccini, qu’il ne possède pas la labilité harmonique de celui d’un Monteverdi. Afin d’animer cette mélopée, Van Nevel n’hésite pas à intervenir sur le rythme, imposant par exemple un jeu en ostinato pour divers passages pathétiques (récit de la Messagère, adieux d’Alcina, lamento de la Dame désenvoûtée) – pour un résultat séduisant à l’oreille mais peut-être anachronique. Ce qu’on regrette surtout, c’est que l’éloquence du discours semble souvent abandonnée aux instruments – notamment aux continuos qui caractérisent chaque rôle. Mais il faut dire que l’incarnation vocale de la douzaine de personnages secondaires est franchement piteuse : voix décolorées, sèches, plates, sans harmoniques ni soutien – bref, pas « lyriques » pour un sou. Comme, en chœur, le Huelgas Ensemble s’avère nettement plus convaincant (scènes des Plantes enchantées et des monstres), on comprend que Van Nevel ait accru son rôle, lui confiant des pages qui, chez Sartori, revenaient aux solistes (trios des Demoiselles et des Sirènes). En revanche, les deux interprètes principaux se montrent légèrement préférables à leurs rivaux de la version Glossa. Non en ce qui concerne les timbres (nettement plus clairs, ici, où Ruggiero se fait ténor), mais en ce qui regarde la richesse des nuances, des inflexions et des ornements. Entre les deux lectures – celle de Glossa, plus italienne, celle de DHM, au parfum plus renaissant – il est donc permis d’hésiter, en fonction de ses priorités…

O.R.