Nikolai Schukoff (le comte Boleslav Zagorsky), Martina Rüping (Jadja), Susanne Bernhard (Suza), Mathias Hausmann (Casimir von Kawietzky), Michael Kupfer-Radecky (le comte Staschek Zagorsky), Florence Losseau (Stasi), Orchestre de la Radio de Munich, Chœur du Staatstheaters am Gärtnerplatz, dir. Ulf Schirmer (live, 2015).
CD CPO 555 059-2. Pas de livret. Distr. DistrArt Musique.

Attention : plaisir garanti ! Si le nom du compositeur Joseph Beer (1908-1987) vous est inconnu, c’est que, à l’instar d’innombrables musiciens juifs de la première moitié du XXe siècle, sa carrière fut brisée et son œuvre interdite par le régime nazi. Polonais né sujet autrichien en Galicie (plus précisément à Horodok, près de Lviv, dans l’actuelle Ukraine), ce fils de banquier étudie à Vienne auprès de Joseph Marx, qui décèle très vite ses dons exceptionnels. Dès l’âge de 26 ans, il triomphe avec Der Prinz von Schiras (1934), créé à Zurich et bientôt joué un peu partout en Europe. Trois ans plus tard, nouveau succès colossal avec une deuxième opérette, Polnische Hochzeit (Les Noces polonaises) (1937), également donnée à Zurich, puis dans une quarantaine de villes. Des représentations étaient prévues au Châtelet avec Jan Kiepura et son épouse Martha Eggert, ainsi qu’à Vienne avec Richard Tauber, mais l’Anschluss et la Deuxième Guerre mondiale mirent un frein brutal à l’essor d’une carrière commencée sous les meilleurs auspices. Réfugié en France, Beer vit la création de l’opéra Stradella en 1949 (toujours à Zurich), continua à composer sans chercher à diffuser son œuvre et mena une vie extrêmement discrète jusqu’à son décès survenu à Nice, en 1987.

Composée pendant l’entre-deux-guerres, soit au moment où la Galicie occidentale était redevenue polonaise, l’opérette permet à Beer de faire vibrer avec éclat sa fibre patriotique. L’intrigue se déroule avant les mouvements insurrectionnels de 1830 et gravite autour des amours du comte Boleslav Zagorsky, de retour au pays après avoir longtemps combattu pour la liberté. Dès le premier acte, le héros se lance dans deux chants exaltants qui proclament son amour pour son pays. Nikolai Schukoff s’y montre extraordinaire de santé vocale et de ferveur, tout comme dans le superbe « Du bist meine große Liebe » et les merveilleux duos d’amour avec Jadja. Cette dernière, qui échappe grâce à son amie Suza au mariage avec le riche oncle de Boleslav, trouve en Martina Rüping une interprète délicate et une solide technicienne. Malgré les immenses qualités de ces deux artistes, il s’en faut de peu pour que le couple bouffe (Suza et Casimir) ne leur vole la vedette. Susanne Bernhard et Mathias Hausmann possèdent en effet une bonne humeur contagieuse qui atteint des sommets dans le charleston endiablé « Katzenaugen » qui soulève le public du Prinzregententheater de Munich. Michael Kupfer-Radecky est ineffable dans le rôle de l’oncle berné par Suza (qui s’est substituée à Jadja au moment de la cérémonie du mariage), qui renonce aux femmes pour se consacrer exclusivement à la dive bouteille. À la tête d’un chœur et d’un orchestre dans une forme éblouissante, Ulf Schirmer nous prouve encore une fois qu’il est un des très grands chefs de notre époque et un artisan essentiel de redécouvertes majeures.

L.B.