Johan Botha (Luigi), Wolfgang Koch (Michele), Elza van den Heever (Giorgetta), Heidi Brunner (La Frugola), Charles Reid (Il Tinca, le Vendeur de chansons, l’Amoureux), Janusz Monarcha (Il Talpa), Elisabeta Marin (l’Amoureuse), ORF Vienna Radio Symph. Orchestra, dir. Bertrand de Billy (live en concert au Konzerthaus Wien, 20 mai 2010).
CD Capriccio C5326. Notice bilingue (all., angl.), livret trilingue (ital., all., angl.). Distr. Outhere.


Première surprise, la photo de couverture : sous des arcades Renaissance, une femme tient en main un masque de carnaval, revêtue d’une ample pèlerine de velours écarlate. A-t-on confondu les berges de la Seine et les canaux de Venise ? Malgré ce « manteau », l’œil et l’esprit nous entraînent bien plus vers La Gioconda que vers Il tabarro

Seconde surprise : Bertrand de Billy privilégie un flux orchestral hédoniste, dont les dissonances de timbres sont absorbées dans la matière (les klaxons perdent ainsi leur modernité bruitiste) et les coups d’éclat, assouplis en arche – certes magistralement conduite – plutôt que jaillissant en lave brûlante ou en cri d’horreur.

Troisième surprise (mais cohérente avec la précédente) : le casting joue lui aussi la carte du beau son plutôt que de la prise de risque. Aux côtés d’un trio Giorgietta-Michele-Luigi parfaitement en règle avec le chant opulent de la partition puccinienne, il se prive de toute caractérisation des rôles secondaires : la Frugola juvénile et bien-chantante de Heidi Brunner a beau grossir ses graves pour effleurer son personnage, elle n’en a pas la saveur gouailleuse, pas plus que Charles Reid en Tinca, qui se fond dans le décor sonore au lieu de le pimenter. Wolfgang Koch et Johan Botha exécutent un sans-faute… mais jamais l’on a ce sentiment de jusqu’au-boutisme qui est pourtant l’âme même du Tabarro, qui devrait nous laisser exsangue à l’audition et, ici, nous offre au contraire un sentiment de complétude incongru. L’exploit est d’ailleurs à relever, s’agissant d’un live. A-t-on voulu se garder de tout « vérisme » ? C’est pourtant le Tabarro qui, chez Puccini, s’en approche au mieux et demande une fébrilité autrement périlleuse.

On aimerait retrouver les mêmes artistes dans l’urgence de la scène. Car l’équipe est belle, vaillante et stylée, l’orchestre, fastueux et raffiné, et la direction, souple et construite de bout en bout. Mais manque ici le grain de folie meurtrière qui fait le sel – sur la plaie – du Tabarro. Lequel n’est pas un somptueux vêtement de fête, mais un manteau noir gorgé de sang.

C.C.