Juan Diego Flórez (Werther), Anna Stéphany (Charlotte), Mélissa Petit (Sophie), Audun Iversen (Albert), Cheyne Davidson (le Bailli), Martin Zysset (Schmidt), Philharmonia Zurich, Chœurs de l’Opéra de Zurich, dir. Cornelius Meister, mise en scène : Tatiana Gürbaca (Zurich, avril 2017).
DVD Accentus music. Distr. Harmonia Mundi.


Benoît Jacquot, à Bastille, renouait avec le romantisme allemand. A Zurich, Tatjana Gürbaca inscrit Werther dans des temps beaucoup plus proches de nous. Décor unique de bois, assez aseptisé, vaguement maison de poupée, symbole d’un monde refermé sur lui-même et condamnant la femme aux tâches ménagères, parfois étrange – Johann et Schmidt, rien moins que joyeux drilles, ne sont guère rassurants. Werther le fait voler en éclats, porteur de rêves, de fantasmes, messager de l’éternelle enfance, très présente dans la production. Deux univers marqués par les très suggestifs éclairages de Klaus Grünberg. La violence des désirs et des frustrations, du coup, fait irruption, un peu comme chez Bergman – la direction d’acteurs travaille Charlotte et Werther au corps. Au deuxième acte, il descelle les lattes du plancher qui devient un cercueil. Au troisième, Charlotte tuerait presque Albert, qui prend des airs de Golaud. Mais la tendresse a aussi sa place, avec cette danse fantomatique au clair de lune du premier acte, à laquelle répond celle d’un vieux couple attendri dans la scène finale, utopique double de celui, avorté, de Charlotte et Werther, dont la mort est presque transfiguration, avec l’ouverture sur un ciel étoilé. C’est assez fort, plastiquement assez beau : une des plus stimulantes lectures de Werther depuis celle de Willy Decker.

C’est, sur scène – celle, petite, de Zurich –, le premier Werther de Juan Diego Flórez. Même si elle s’est corsée, la voix est plus légère que d’autres mais l’émission ne sent jamais l’effort, à peine un peu trop tendue dans le troisième acte. Toujours belcantiste, le ténor péruvien colore chaque note, pas moins attentif au mot : un des plus raffinés Werther jamais entendu, très introverti, parfois jusqu’à l’autisme, aussi remarquable par la tenue de la ligne que par la profondeur de l’incarnation. Anna Stéphany lui est bien assortie, Charlotte à la jeunesse brisée, le mezzo clair qu’il faut ici, assez endurant néanmoins pour le « Seigneur Dieu » du troisième acte, pas moins proche du texte – la prose des lettres se décline naturellement, sans la moindre emphase. Melissa Petit, aussi légère et déliée soit-elle, arrache Sophie à sa fraîcheur mièvre – elle lit d’ailleurs les lettres et comprend tout. L’Albert très stylé d’Audun Iversen comprend visiblement aussi, passant de l’amour extasié à la jalousie haineuse. A rebours d’une tradition française d’élégance et de mesure, Cornelius Meister est sans concession, avec des couleurs fauves et un refus de la sentimentalité : ce Werther, décidément, c’est Violence et Passion.

D.V.M.