John Osborn (Jean de Leyde), Marianne Cornetti (Fidès), Lynette Tapia (Berthe), Albrecht Kludszuweit (Jonas), Pierre Doyen (Mathisen), Tijl Faveyts (Zacharie), Karel Martin Ludvik (Comte Oberthal). Orchestre Philharmonique d’Essen, Chœur de l’Opéra d’Essen, dir. Giuliano Carella (live, 2017).
CD Oehms 0C 971. Distr. Outhere.

Pour la résurrection du Prophète, Essen avait précédé Toulouse et Berlin. Qu’une ville moyenne allemande, toujours prête à monter des raretés, se lance dans l’aventure mérite déjà d’être signalé. Evénement musical et musicologique : voici l’édition critique, qui rétablit des passages coupés avant la première, notamment à cause des moyens limités du ténor Gustave Roger – cela faisait quand même, d’après Meyerbeer lui-même, une quarantaine de minutes. Vous découvrirez ainsi une scène de Jean avant la prière du troisième acte assez différente, un « Ô toi qui m’abandonnes » plus long que vous ne le connaissiez, un monologue de Berthe mourante, accompagné au saxophone… A la tête de musiciens et de choristes impeccables, Giuliano Carella offre aussi, du moins pour le disque, la meilleure direction d’orchestre, même si parfois la volonté d’éviter le pompiérisme le conduit à relâcher la tension. Cela dit, il tient bien les grands ensembles et, surtout, combine avec subtilité les timbres de l’orchestre de Meyerbeer. John Osborn fait aujourd’hui le meilleur Jean qui soit – l’excellent Gregory Kunde, à Berlin, accusait une certaine fatigue. Il a la jeunesse naïve du prophète, respecte toutes les nuances du rôle grâce à une maîtrise totale de l’émission, notamment dans la Prière du troisième acte, a l’aigu facile jusqu’au contre-, montre un certain souci du mot. A peine le trouvera-t-on un peu tendu pour la scène de l’exorcisme, où la tessiture doit se corser. Le mot, justement, manque à la Fidès trop pâteuse de Marianne Cornetti : sans doute un grand mezzo verdien solide, mais au chant assez épais, qui finit par fatiguer lorsque viennent les deux derniers actes, s’épuisant dans le dernier air avec des vocalises caoutchouteuses. On aime au début la légèreté charmante de Lynette Tapia, qui la gêne un peu à partir du troisième acte, où il faudrait, alors que Berthe devient un personnage tragique, une voix plus corsée. Les autres assurent, l’exotisme de l’articulation les empêchant d’être tout à fait crédibles – cela émousse, par exemple, la noirceur sadique de Zacharie. Quelle différence avec Pierre Doyen, seul représentant de l’école française : son Mathisen, rôle pourtant bien secondaire, est le seul à incarner une certaine authenticité. Vocalement, notre Prophète reste celui de Henry Lewis à Turin, avec Nicolai Gedda, Marylin Horne et Margarita Rinaldi (voir notre discographie comparée dans L’ASO 298). Mais nous gardons celui-là, à cause de John Osborn, de Giuliano Carella et de ses pages inédites. Pourquoi, d’ailleurs, ne ferait-on pas un DVD de cette production confiée à Vincent Boussard, alors qu’aucun n’existe sur le marché ?

D.V.M.