Edward Tsanga (le tsar Saltan), Mikhail Vekua (Guidon), Albina Shagimuratova (la Princesse-Cygne), Irina Churilova (la Tsarine), Varvara Solovyova (Tkatchikha), Tatiana Kravtsova (Povanikha), Elena Vitman (Barbarikha), Chœurs et Orchestre du Théâtre Mariinsky, dir. Valery Gergiev, mise en scène : Alexander Petrov (Saint-Pétersbourg, juillet 2015).

DVD et BR Mariinsky MAR0597. Distr. Harmonia Mundi.

 

Rimski-Korsakov fit son miel du conte de Pouchkine où le merveilleux le dispute à l’humour, où le ton populaire s’accommode de parures littéraires. Il y déploya l’un de ses plus fabuleux orchestres, encore libre du ton ironique qui vinaigrera neuf ans plus tard Le Coq d’or. Ce Tsarévitch avec tonneau, cygne et bourdon fêta la bascule entre les XIXe et XXe siècle ; Rimski-Korsakov savait-il qu’il y abandonnait la veine populaire dont s’étaient nourries ces deux « Nuits », son Sadko ?

Ici et là, derrière le brio des mélodies, le pouvoir des illustrations, la magie de bout de ficelles du voyage sur la mer de Guidon ou de l’attaque des bourdons, perce comme une nostalgie, des teintes d’automne, un discours un rien distancié dont Valery Gergiev a saisi toutes les nuances, refusant la tension univoque qu’y mettait Vladimir Nebolssin dans sa géniale version pourtant prisonnière des tentations de relecture qui encombrèrent les productions de l’ère soviétique. Le spectacle, habilement réglé par Alexander Petrov pour se fondre dans les décors d’Ivan Bilibine – le Mariinsky a reproduit à l’identique l’imaginaire fastueux et naïf de la légendaire production de 1937, y ajoutant un dessin animé pour illustrer les interludes –, lui aura probablement inspiré cette détente, ces bonheurs, cet allant qui musarde dans les beautés d’une partition aux multiples arrière-plans.

Bonheur complet que sacre un plateau exemplaire, dominé par la Princesse-Cygne d’Albina Shagimuratova , sensuelle mais surtout mystérieuse, et par un couple impérial joliment apparié, le Tsar d’Edward Tsanga si juste de chant et d’expression, la Tsarine mélancolique d’Irina Chulova. Et Guidon ? Le clairon de Mikhail Vekua a plus de métal que de brillant, il ne fera oublier ni Vladimir Ivanovsky, ni Janec Lipusek : peu importe, il est le personnage.

Ce spectacle habilement filmé annule le seul Tsar Saltan que la vidéo nous ait offert jusque là – la captation télévisée de la production, en langue allemande, de l’Opéra de Dresde. Il n’était que temps…