Rolando Villazón (Ulisse), Magdalena Kozena (Penelope), Anne-Catherine Gillet (Minerva), Mathias Vidal (Telemaco), Kresimir Spicer (Eumete), Jean Teitgen (Nettuno), Jörg Schneider (Iro), Isabelle Druet (Melanto), Emiliano Gonzalez Toro (Eurimaco), Elodie Méchain (Euriclea), Le Concert d’Astrée, dir. Emmanuelle Haïm, mise en scène: Mariame Clément (Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 2016).

DVD Erato/TCE. Notice en français. Distr. Warner Music.

Neptune, grimé en capitaine Haddock, boit des coups à la Taverne de l’Olympe avec ses potes dieux (de vieux croûtons en ciré) et son fils Polyphème (énucléé par Ulysse) ; on joue aux fléchettes et, quand l’une de ces dernières tombe sur Terre, les hommes la prennent pour un présage. Minerve, en corsage léopard, transporte un Télémaque en baskets et tirant sur sa clope sur un sofa volant ; les prétendants, en frac, offrent à Pénélope des maquettes d’immeubles made in Dubaï, avant de parier des dollars sur la bagarre opposant Iro au Mendiant et de se faire massacrer à grands coups de « Pif », « Paf », « Bong » (ce sont des bulles de bédés qui nous en informent)… Bref, Mariame Clément reproduit à l’infini son esthétique cartoonesque, multipliant les gags, réussissant quelques beaux moments d’acteurs (le trouble ressenti par Pénélope à la voix de son époux, parfaitement capté par la caméra de François-René Martin), mais collant trop souvent à l’anecdote (le Temps est un pilote de Formule 1 qui boîte, la Fortune manie une roue de jeu télévisé, on montre la terre quand on parle de la terre, le ciel quand on parle du ciel, etc.), sans parvenir à extraire le sens de ce beau livret baroque. Cette histoire de fidélité forcenée, qui fait préférer à une épouse le souvenir de son mari, qu’elle s’obstine à croire défunt, au mari en chair et en os, méritait mieux qu’une suite de sketchs, même si l’on doit reconnaître à la scénographe un maniement virtuose de l’espace (jeu habile sur les parois coulissantes et les rideaux de théâtre).

Sa complice Emmanuelle Haïm a inséré moult sinfonie favorisant les fondus-enchaînés et fondus au noir, faisant miroiter un instrumentarium coloré sans être pléthorique. Mais, surtout intéressée par la dimension harmonique de la musique de Monteverdi, au détriment de son caractère cursif, de sa mobilité métrique et rythmique, elle a tendance à asséner ses accords comme un bûcheron, figeant trop souvent le discours (le duo Ulysse/Télémaque, par exemple, apparaît singulièrement statique). Elle peut heureusement s’appuyer sur une distribution, pour l’essentiel, de bon aloi : Minerve étincelante, Eumée et Eurymaque élégants et musiciens, Télémaque au bel éclat juvénile, Antinoo impressionnant, Euryclée (dont le monologue a bizarrement été déplacé à l’acte II) chaudement maternelle. On aime moins un Iro seulement sonore et une Mélanto qui poitrine excessivement, pour « faire canaille ». Kozena apparaît un peu gênée par la tessiture grave de Pénélope et le timbre manque de lumière ; mais l’interprète se montre sensible, raffinée, habillant d’un vibrato sensuel les trop rares épanchements que lui permet la chef (« Torna Ulisse » fait ici plus figure d’injonction que de supplique). Quant à Villazón, crâne rasé et barbe de baroudeur, il prête à Ulysse une émission encore magnétique mais qui, ayant perdu ses harmoniques aigus, paraît, au moins à l’acte I, toujours trop basse – la réhabilitation vocale du ténor mexicain ne semble pas encore achevée…

O.R.