Kresimir Spicer (Lucio Silla), Lenneke Ruiten (Giunia), Marianne Crebassa (Cecilio), Inga Kalna (Lucio Cinna), Giulia Semenzato (Celia), Chœur et Orchestre du Teatro alla Scala, dir. Marc Minkowski, mise en scène : Marshall Pynkoski (Milan, mars 2015).

DVD Cmajor743308. Notice et argument trilingues dont français. Distr. DistrArt Musique.

 

En 2013, cette production avait fait sensation à la Semaine Mozart puis au Festival d'été de Salzbourg, révélant triomphalement la mezzo-soprano Marianne Crebassa. Sous la baguette électrique de Marc Minkowski, à le tête des Musiciens du Louvre, et dans une mise en scène qui mariait classicisme, élégance esthétique et vivacité théâtrale, Lucio Silla, cet opera seria d'un Mozart de 16 ans, était soudain reconsidéré à l'égal des chefs-d'œuvre du maître.

Deux ans plus tard et dans la ville même où fut créé l'ouvrage fin 1772, la captation filmée de sa reprise scaligère offre à nos vidéothèques l'une de ses plus belles pépites, même si la distribution est pour partie renouvelée. Marc Minkowski mène l'Orchestre de La Scala vers une vivacité de touche et un délié du galbe qui dessine à merveille le trait mozartien, profitant de sa puissance voluptueuse que la prise de son met en relief, notamment du côté des cordes graves. L'édition critique de la partition (Bärenreiter) nous vaut près de trois heures de musique (avec quelques aménagements pointés par Giuseppe Montemagno dans son compte rendu sur notre site), tantôt vive et épicée, tantôt d'un tragique déchiré, et n'omettant pas les trois musiques de ballet originales, ici chorégraphiées par Jeannette Lajeunesse Zingg dans un esprit à la fois historique et distancé. La même délicatesse sans fadeur prévaut dans la mise en scène de Marshall Pynkoski, lui-même danseur (époux de la précédente et cofondateur avec elle de Opera Atelier, une troupe lyrico-chorégraphique sise à Toronto), qui sait guider les chanteurs vers une rhétorique du geste statuaire mais sans raideur, habitée d'une autorité intérieure gravant les émotions dans le marbre : travail historiciste ? Travail de vrai théâtre, tout simplement, où l'idée, le mot et le corps parlent la même langue. De même dans les décors et costumes raffinés d'Antoine Fontaine - dont on ne présente plus le talent à faire jaillir le présent le plus charnel des évocations du passé : Rome, le siècle de Mozart et l'urgence théâtrale du hic et nunc parviennent ainsi à se fondre d'un même galbe - grâce aussi aux belles lumières d'Hervé Gary.

Succédant à Rolando Villazón et Olga Peretyatko (2013), Kresimir Spicer (Silla) et Lenneke Ruiten (Giunia) imposent leur lecture : lui, lumineux, souple et ardent, parfait despote éclairé dont la voix darde d'abord la vindicte, enfin la tendresse - et comme sans effort ; elle, projection dardée et ferveur intense, d'une douleur intérieure poignante accordée à des moyens vocaux de tragédienne outragée. Son timbre et son chant s'accordent ici à ceux de Marianne Crebassa tels l'avers et le revers d'une médaille : de leur inflexion synchrone, de leur chair palpitant du même souffle, du grain de leur voix s'épousant d'un même élan s'élève un duo proprement miraculeux. Crebassa confirme, elle, ses éclatants débuts, nouvelle étoile semblant d'emblée accrochée au firmament, vibrance moirée en bandoulière d'un tempérament scénique inflammable. Inga Kalna, malgré quelques inégalités dans vocalise, emporte avec panache le rôle de Cinna, quand Giulia Semenzato apporte sa clarté adamantine à une Celia juvénile et innocente.

Aux côtés de la version de Salzbourg 2006 (Netopil/Flimm, avec quand même Saccà, Massis et Cangemi), ce nouveau DVD s'impose comme la version vidéo de référence de Lucio Silla... avec de petit plus qu'une fois arrivé aux saluts, une envie vous tenaille : relancer la lecture pour continuer le voyage...

C.C.