Simon O'Neil (Siegfried), Heidi Melton (Brünnhilde), Matthias Goerne (Der Wanderer), David Cangelosi (Mime), Werner Van Mechelen (Alberich), Deborah Humble (Erda), Falk Struckmann (Fafner), Valentina Farcas (Waldvögel), Orchestre Philharmonique de Hong-Kong, dir. Jaap van Zweden (concert, janvier 2017).

CD Naxos 8660413-16. Distr. Outhere.

 

Siegfried est le plus infaisable des volets de la Tétralogie. S'il était un mouvement dans une symphonie, c'en serait le scherzo, immense, complexe de tons, d'atmosphères, dont chaque acte a sa propre couleur. C'est plus encore qu'ailleurs l'opéra du récit dans le récit, des remémorations, des révélations, ce qui induit, comme à revers de sa formidable suractivité, un temps dramatique plus long, plus dilué qu'ailleurs.

En trouver le tactus est un casse tête que Karl Böhm résolvait en faisant tout sur les pointes, leicht, aérien et fusant sinon le grand duo final où soudain il élargissait tout et marquait la mesure, rappelant dans l'exultation des aimés l'entrée des Dieux dans leur Burg. Jaap van Zweden garde tout lumineux et vif jusqu'à la fin, mais il sait aussi créer ces immenses plages d'attente, d'interrogation ; sa forêt est mystérieuse comme peu depuis celle imaginée par Karajan : jamais un décor, mais plutôt un portrait des émotions du héros, partagé entre les enchantements et la chasse à Fafner. Parfois son art frôle le génie, comme durant l'orage qui introduit au IIIe acte puis tout au long de la confrontation entre Erda et le Wanderer.

Revenu de tout, en voix assourdie, croassant son chant comme les corbeaux qui l'accompagnent, Matthias Goerne est sciant de vérité même avec son instrument sensiblement éprouvé par le voyage qui s'achève ici : tout est consommé de ses créatures, son monde s'effondre, c'est tout cela qu'il pleure, comme on ne l'avait plus pleuré depuis Hotter, incarnation extrême qui suffirait à rendre cette captation imparable. Mais il y a plus : le Siegfried jamais naïf et formidablement chanté de Simon O'Neil, le Mime retors de David Cangelosi, moins ténor de caractère qu'à l'habitude - et dont l'incarnation mordante s'inspire d'Erwin Wohlfahrt, Mime historique trop tôt disparu -, l'Alberich si bien chanté de Werner Van Mechelen, l'Erda très (trop) peu prophétesse de Deborah Humble, Déesse absolument, et jusqu'à Heidi Melton, Brünnhilde émerveillée dès son réveil. J'attends avec impatience le Crépuscule de ce Ring inespéré.

J.-C.H.