Kristine Opolais (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi), Marco Vratogna (Scarpia), Aleksander Tsymbaluk (Cesare Angelotti), Peter Rose (le Sacristain), Pieter Tantsits (Spoletta), Douglas Williams (Sciarrone), Walter Fink (Un geôlier), Cantus Juvenum Karlsruhe, Philharmonia Chor Wien, Berliner Philharmoniker, dir. Simon Rattle, mise en scène : Philipp Himmelmann (Baden-Baden 2017).

DVD Euroarts 2064178. Distr. Warner.

 

Il y a un « mystère Tosca » : on aurait confié à Alfred Hitchcock cette parfaite intrigue de pur suspens agrémentée d'un long prologue amoureux, il n'en aurait fait qu'une bouchée, romance, meurtre et exécution emmenés d'un seul geste. Au lieu de cela, les metteurs en scène, confrontés à ce qu'il y reste de la pièce de Victorien Sardou, la noient dans les décors -les trois lieux de l'action entièrement enclose à Rome sont un piège trop tentant - ou la surchargent d'une lecture à prétentions politiques. Philipp Himmelmann réussit le tour de force de cumuler ces deux facilités. Revenue du plateau lacustre de Bregenz qui l'aura vue dix ans plus tôt, repeignée prestement pour les quelques représentations sur la scène du Festspielhaus de Baden-Baden, sa production hésite entre les vertus cosmétiques du décor historique - la chapelle latérale de San Andrea della Valle n'est le théâtre d'aucune tension, tout y est fait pour la parade et pour faire moderne : Mario peint sa toile au sol, façon école de New York - et le soulignement grandiloquent des pouvoirs de police de Scarpia qui, tel un Fouché moderne, « vidéosurveille » de son bureau tout Rome et probablement le monde entier, les écrans indiscrets noyant l'action de quasi-roman policier qui s'y noue et écrasant les personnages. A l'acte trois, l'effondrement du propos est complet : un grand mur gris, tous tassés à l'avant-scène, Tosca et Cavaradossi s'adressant de cour à jardin, Mario tué par un pistolet hypodermique et Floria le lui prenant pour se supprimer - on va au moins au bout du ridicule d'un seul geste.

Le spectacle s'oublie d'autant plus aisément que rien dans sa musique ne peut le retenir. Pardon, mais Kristine Opolais n'est en rien, vocalement, une Tosca : ligne instable, aigus difficiles, timbre gris trottoir, elle n'en a que la silhouette (que vient gâcher ce grand manteau couleur écarlate) ; et son Scarpia sans danger, au chant fruste, ne lui oppose rien d'autre qu'un pur méchant de convention, rendant l'acte II impossible. Reste le « Cavaliere » de Marcelo Alvarez, admirable toujours par ce pur bel canto tenu, cet élan irrépressible, et les silhouettes très affirmées du Sacristain (excellent Peter Rose qui soigne son chant), d'Angelotti emporté avec éloquence par Alexander Tsymbalyuk, du Geôlier selon Walter Fink et, au début du troisième acte, la jolie surprise d'un Berger juvénile assez troublant.

Sur tout ce trop peu, les Berlinois et Simon Rattle, dont ce furent pour le chef britannique les premières Tosca après son incursion chez Puccini par Manon Lescaut, in loco en 2014, mettent une symphonie opulente mais stylée, sans pourtant comprendre que Puccini écrivit son orchestre vif et tranchant, véritable deus ex machina des rebondissements de l'intrigue. Comme si les leçons de Victor de Sabata s'étaient à jamais perdues.

J.-C.H.