Christopher Ventris (Parsifal), Petra Lang (Kundry), Alejandro Marco-Buhrmester (Amfortas), Falk Struckmann (Gurnemanz), Mikhail Petrenko (Klingsor, Titurel), Chœur de l'Opéra des Pays-Bas, Chœur d'enfants De Kickers, Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, dir. Ivan Fischer, mise en scène : Pierre Audi (Amsterdam, 2012).
DVD et Blu-ray Challenge Classics CCZ261. Distribution NewArts International.

 

Le spectacle de Pierre Audi, qui fit couler tant d'encre, a mis du temps à nous parvenir. Sa captation modeste mais fidèle, signée pour l'Opéra des Pays Bas et la NTR par Misjel Vermeiren et publiée à l'occasion de la reprise de cette production in loco durant l'hiver 2016-1017(Munich la verra en juin 2018 avec Kaufmann et Stemme, la Radio bavaroise la captant, et l'on évoque une possible édition audio chez BR Klassik), aura documenté à leur création toutes les sombres féeries que le grand miroir concave d'Anish Kapoor aura englouties ou reflétées.

Car ce n'est pas faire injure à Pierre Audi que de souligner qu'ici la prééminence est captée par le décor, fabuleux dans tous ses actes et ce dès le premier, terre et cendre, ocre et noir où se coagule dans un Monstalvat comme issu d'une coulée de lave le sang de la blessure d'Amfortas. Un cygne y volera, qu'abattra Parsifal, Pierre Audi suivant les didascalies sans faiblir. Dans l'espace très libre de la scène sa régie acquiert une fluidité insensée où chaque personnage a tout l'espace pour exposer son drame. Le grand miroir sera un formidable révélateur pour les sortilèges des Filles-Fleurs, tout l'acte de Klingsor baignant dans une poésie qu'on n'y avait plus mis depuis des lustres. Tout cela, placé hors du temps historique, débarrassé enfin des scories de l'actualité que le chef-d'œuvre de Wagner aura accueillies malgré lui, rend Parsifal à son innocence, Kundry à sa détresse, Amfortas à son combat, et ose enfin replacer l'œuvre dans sa vérité :une quête spirituelle, qu'Audi entoure discrètement d'empreintes chrétiennes et celtes.

Bonheur supplémentaire, la distribution est immaculée, de Petra Lang qui, une fois entrée dans cet univers, chante avec une liberté d'accents que sa Kundry ne montrait plus depuis quelques temps, à la grande stature de Christopher Ventris, ce Parsifal de chair et de sang si émouvant, en passant par l'Amfortas anthologique d'Alejandro Marco-Buhrmester, subtilement modelé de voix, d'expression, fascinant tout au long du troisième acte - le Gurnemanz si timbré de Falk Struckman et Mikhail Petrenko, Klingsor jamais maléfique qui pourrait être le double inversé d'Amfortas (et donne aussi les quelques mots de Titurel), ne leur cédant en rien. Tant de poésie en scène, tant d'élévation spirituelle dans ce spectacle trouvent dans les sonorités profondes et émouvantes du Concertgebouw, dans la battue décantée et méditative d'Ivan Fisher, leur parfait miroir : Parsifal devient enfin cette œuvre d'art totale que Wagner espérait. On n'est pas loin du miracle.

J.-C.H.