Judith Blegen (Lesbia), Richard Kness (Catullus), The Temple University Choirs, dir. Robert Page, The Philadelphia Orchestra, dir. Eugene Ormandy (1967).

CD Sony 88985470322 (rééd.). Distr. Sony.

 

Les jeux scéniques inspirés à Carl Orff par les poèmes de Catulle célébraient en pleine Deuxième Guerre mondiale le triomphe de la jeunesse et de ses plaisirs sur la sagesse des vieillards. Créés en novembre 1943 à Leipzig, impossible de ne pas y percevoir une parabole sur l'Allemagne nazie et son exaltation de la virilité, autant qu'une ironie dans sa célébration de la licence, de l'amour physique, d'une certaine débauche des sens, ambiguïté d'une œuvre qui rend bien compte de la position alors si délicate du compositeur, récupéré par Goebbels qui, après avoir condamné le musicien, le réhabilita en remettant sous les projecteurs de sa propagande les Carmina Burana, créés six ans plus tôt. Le temps de l'épuration venu, Orff déclara avoir œuvré au sein du mouvement de résistance « Die weisse Rose » sans que cela soit jamais absolument attesté ; l'ombre du nazisme plana encore longtemps sur son œuvre, les rythmes martiaux et le flamboiement érotique de Carmina Burana n'y étant pas pour peu.

Les Poèmes de Catulle sont autrement suggestifs, avec leur abondante percussion et leurs deux pianos pour tout orchestre, ses chœurs ardents, ses échanges tour à tour sensuels ou philosophiques entre le poète et Lesbia. Parue en 1967, la version américaine signée par Eugene Ormandy passa quasi inaperçue en Europe où régnaient à l'Est l'enregistrement d'Herbert Kegel et à l'Ouest la première gravure, déjà ancienne (1955), d'Eugen Jochum. Portant le chef hongrois y emmenait un chœur fabuleux, réglé par l'excellent Robert Page, d'une verve, d'une sensualité que les chorales allemandes ignoraient et qui s'accordaient avec le chant séraphique de la jeune Judith Blegen. Paille de cette lecture somptueusement enregistrée, le Catulle rogue et au latin yankee de Richard Kness. Malgré lui, il faut entendre cette version en somme historique mais qui resta peu de temps au pinacle : trois ans plus tard, Eugen Jochum retournait au studio, gravant des Catulli Carmina définitifs, Wieslaw Ochman campant le poète face à la Lesbia de Gundula Janowitz. Ni Valclav Smetaceck, ni Ferdinand Leitner ne purent l'égaler, alors même qu'Eugene Ormandy, dont le disque ne parvint en Europe qu'au milieu des années soixante-dix, avait, le premier, rendu tous leurs feux aux poèmes de Catulle.

J.-C.H.