Sophie Junker (Denise), Thomas Doliè (La France), Talise Trevigne (Madame Hubert), Francisco Fernandez-Rueda (André), Opera Lafayette, dir. Ryan Brown (2015).

CD Naxos 8660377. Distr. Outhere.

 

C'est sur un livret de Choudard (Desforges de son nom de plume), acteur fameux et dramaturge habile qui prenait le relais de Marmontel, que Grétry brossa son Théodore et Paulin. Versailles le vit en mars 1784 sans que la Reine le remarque. Disgrâce dont Grétry se consola vite en recyclant les trois actes de l'original en deux actes réduits au format chéri par le théâtre de la Comédie italienne qui lui fit fête dès juin de la même année. Une « rousseauade » sans façon, où la plume du musicien coule fraîche comme une source sur un sujet pas si innocent que cela : La France, ancien amant de Madame Hubert, a des visées sur sa fille, Denise, ce dont s'émeut son promis, André. La jalousie du jeune homme irrite la mère et la fille, Denise jouant le noble contre le villageois par rouerie - mais plus d'une fois prête à pencher du côté de La France. Finalement elle choisira André et restera au village. Choudard oppose le patois des paysans au français de l'aristocrate, son orchestre est danse et musette pour les premiers, menuet et style pour le second, brillant danseur par surcroît. Cela fait au total un ouvrage délicieux, vrai succès de Grétry enfin gravé mais sans pour autant convaincre. La faute à la direction pâlotte de Ryan Brown, dont l'orchestre maigre ne fait pas assez sonner les atmosphères dont Grétry pare son sujet et ses moyens modestes, mais qu'il faut remercier d'avoir édité la partition. Les chanteurs, eux, sont mal assortis : Thomas Dolié, entreprenant et charmeur, déploie son beau baryton, Sophie Junker fait sa rouée (mais aussi sa sensible), patoisant avec esprit, Fernandez-Rueda n'ose pas mettre tout l'éclat de son beau ténor dans les mots de Choudard et Talise Trevigne fait sa modeste, elle qui fut pour Graham Vicks une Violetta surprenante. Les cinquante minutes passent vite, mais Grétry aura une tout autre qualité de musique et d'invention lorsqu'il reviendra à la tragédie lyrique avec Aspasie, cinq ans plus tard. Le 21 octobre 1784, la Comédie italienne créait Richard Cœur-de-Lion. Le brillant livret de Sedaine, forçant Grétry à affûter sa plume, aura d'un coup effacé les charmes trop légers de cette Epreuve.

J.-C.H.