La Naissance de l'opéra à la cour des Médicis (musiques d'Allegri, Buonamente, de' Cavalieri, da Gagliano, Marenzio, Peri, de' Bardi, Guarini, Lucchesini, Pigna)

Ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon (2017).

CD Harmonia Mundi. Livre-disque en français. Distr. Harmonia Mundi.

 

Ce double album explore les sentes tortueuses qui ont conduit de la fête de cour à l'opéra, en se focalisant sur la Florence des Médicis - ce qui lui permet de contourner l'autoroute Monteverdi au prix de quelques circonvolutions : ainsi, inclure La Dafne de Marco da Gagliano dans la visite - sous prétexte que l'ouvrage a été repris à Florence en 1611 - relève-t-il du pas de côté, Dafne ayant été commanditée par la cour de Mantoue (en 1608, en même temps que l'Arianna de Monteverdi). Mais il s'agissait d'illustrer la diversité des formes expérimentées dans ce contexte à la fois courtois et public, autour d'un imaginaire prioritairement mythologique. Certes, le prétexte à de telles festivités était souvent quelque mariage princier (celui de Ferdinand Ier de Médicis avec Christine de Lorraine en 1589, celui de Marie de Médicis avec Henri IV en 1600), mais les célébrations débordaient alors le cadre des palais pour envahir cours, jardins et rues.

Le riche corpus choisi a été rassemblé en quatre « intermèdes », chacun centré sur une légende et/ou un ouvrage-clé : le premier traite de la naissance du sentiment amoureux à travers des extraits d'Il rapimento di Cefalo de Caccini (1600, en grande partie perdu) ; le second, des tristes amours d'Apollon et de Daphné (autour de la Dafne de da Gagliano) ; le troisième, du mythe d'Orphée (autour des Euridice rivales et contemporaines de Peri et Caccini, 1600/1602) ; le dernier met en scène le « Bal des amants royaux » en sollicitant La Pellegrina, fête polymorphe orchestrée par Cavalieri. Symphonies bigarrées, chœurs imagés, madrigaux dentelés, récits pathétiques, danses endiablées, rien ne manque, pas même une inattendue parodie du Lamento della ninfa de Monteverdi due à Brunelli, un combat avec le Python, une apparition de sirènes et une descente aux enfers.

La plupart des pièces avait déjà été enregistrées mais rarement avec autant d'enthousiasme, de flamme, de liberté mêlés de précision. Jouant la carte de l'abondance, Pichon fait ici appel à un instrumentarium d'une trentaine de musiciens, souvent très évocateur (saqueboutes démoniaques, harpe et cornets célestes), parfois un peu trop profus à notre goût (le continuo accompagnant le récit de la Messagère de Peri). Les meilleurs moments sont polyphoniques et presque tous signés Marenzio : déchirant « La dipartita è amara », attaqué a cappella, dramatique « Qui di carne si sfama » et, surtout, pantelant « Udite, lagrimosi spirti d'Averno » - auquel il faut adjoindre les mélismes éthérés du « Dolcissime sirene » de Malvezzi. Le chœur de vingt-cinq membres s'avère souple, brillant, coloré, tandis que douze solistes aux voix souvent ravissantes (les sopranos Sophie Junker et Maïlys de Villoutreys, le ténor Zachary Wilder ; les basses, desservies par le diapason bas, peinent davantage) s'emparent avec fougue des rôles de nymphes, bergers, divinités et furies. Le versant « opératique » apparaît moins convaincant : en dépit de sa belle voix et d'un chant émouvant, le baryton Renato Dolcini plafonne dans les rôles d'Orphée, et l'on a connu la mezzo Luciana Mancini plus à l'aise. Une réalisation néanmoins somptueuse, agrémentée en outre d'une prise de son large et aérée et d'un passionnant livre-disque.

O.R.