Dominik Wortig (le prince Karl-Franz), Anja Petersen (Kathie), Frank Blees (Dr Engel), Arantza Ezenarro (Gretchen), Vincent Schirrmacher (le comte Hugo-Detlef), Wieland Satter (Lucas), Joan Ribalta (Von Asterberg), Theresa Nelles (la princesse Margaret), Christian Sturm (le capitaine Tarnitz), Orchestre symphonique et Chœur de la WDR de Cologne, dir. John Mauceri (2012).

CD CPO 555 058-2. Pas de livret. Distr. DistrArt Musique.

Avec ses 608 représentations consécutives, ce Student Prince (1924) de Sigmund Romberg (1887-1951) constitue le plus grand succès de Broadway des années 1920, surpassant même le fameux Showboat (1927) de Jerome Kern. Le livret, qui joue à fond la carte de la nostalgie, est l'adaptation de la pièce Alt Heidelberg que Wilhelm Meyer-Förster (1862-1934) avait écrite à partir de son roman Karl Heinrich (1899). Après sa création triomphale à Berlin en 1901, la pièce avait traversé l'Atlantique dès l'année suivante pour conquérir immédiatement la scène new-yorkaise. Comme le titre l'indique, le « vieux Heidelberg » joue un rôle essentiel dans cette intrigue gravitant autour des amours de jeunesse du prince héritier du royaume fictif de Karlsberg : venu étudier dans la ville associée aux « Golden Days » de son tuteur le Dr Engel, Karl-Franz y connaît à son tour le bonheur et surtout la passion amoureuse auprès de la jeune Kathie. Mais à la suite du décès de son grand-père, le nouveau souverain doit quitter les rives insouciantes du Neckar et renoncer à Kathie pour épouser contre son gré une femme de son rang.

D'un charme délicieusement entêtant, la partition de Romberg se distingue d'abord par l'importance accordée au chœur masculin, qui joue un rôle crucial. Car ce sont d'abord les étudiants qui font en sorte que le prince se sente véritablement chez lui à Heidelberg : avec eux, il partage le plaisir de mener une vie d'études... et de plaisirs bien arrosés. Que ce soit dans la très entraînante chanson à boire, dans le « Gaudeamus igitur » (mélodie très ancienne reprise notamment par Brahms dans son Ouverture pour une fête académique) ou dans leurs nombreuses interventions, les Chœurs de la radio de Cologne se révèlent remarquables d'homogénéité et de beauté sonore. Avec le chef John Mauceri et l'Orchestre de la WDR, ils donnent tout son relief à une partition qui ne verse jamais ici dans le sirupeux ou l'excès de sentimentalité. Plus que John Owen Edwards, dans la seule autre intégrale (Jay, 1989), Mauceri sait trouver le ton juste et donner à la mélancolie son expression la plus adéquate. Dans le rôle-titre, le ténor Dominik Wortig ne possède certes pas les moyens surhumains de Lauritz Melchior, qui a gravé des extraits en 1950, ou l'insolence de Mario Lanza, qu'on entend dans la version cinématographique de 1954, mais il s'avère ardent dans le duo avec Kathie (« Deep in My Heart »), rêveur à souhait dans sa sérénade (« Overhead The Moon is Beaming ») et d'une sensibilité à fleur de peau dans le finale du troisième acte, alors qu'il chante un poignant « Farewell to Youth ». Grâce à ses couleurs barytonnantes, il forme un beau duo avec le Dr Engel de Frank Blees, à la voix néanmoins un peu fatiguée. Pour sa part, Anja Petersen est une Kathie débordante de vitalité et à qui on pardonne aisément quelques approximations de justesse et stridences dans l'aigu. Le reste de la distribution participe pleinement à la réussite de cet enregistrement qui prouve combien Sigmund Romberg a su parfaitement traduire en musique le souvenir émouvant d'un monde à jamais englouti dans les affres de la Première Guerre mondiale.

L.B.