Diana Damrau (Europa), Désirée Rancatore (Semele), Daniela Barcellona (Isseo), Genia Kühmeier (Asterio), Giuseppe Sabbatini (Egisto), Orchestre et Chœur du Teatro alla Scala, dir. Riccardo Muti, mise en scène : Luca Ronconi (Milan, 2004).

DVD Erato. Notice en français. Distr. Warner Music.

Composée pour inaugurer le Théâtre de La Scala (celui que nous connaissons, bien qu'il ait subi diverses avaries depuis), Europa riconosciuta (1778) est une oeuvre ambiguë : à la fois originale dans sa structure et conservatrice dans ses thèmes et détails d'écriture. Le livret de Verazi constitue une libre paraphrase du mythe d'Europe, princesse tyrienne non plus enlevée par Zeus, ici, mais par le roi de Crète Asterio, qui l'épouse de force. De retour dans sa patrie, accompagnée de son mari et de leur fils, Europe se heurte à sa propre nièce, Sémélé, promise au trône en son absence et à son premier amant, Isséo... Guère de manichéisme, donc, dans cette intrigue qui oppose deux couples mal assortis (composés de deux sopranos coloraturas et de deux castrats, auxquels s'ajoute un méchant ténor, Egisto). En outre, livret et partition préfèrent les scènes polymorphes aux morceaux clos (le premier des deux actes ne contient aucun véritable air soliste !), anticipant parfois sur l'Iphigénie en Tauride de Gluck qui naîtra un an plus tard (la tempête d'ouverture, l'aria "Ah, lo sento"). En revanche, l'écriture musicale privilégie toujours la pyrotechnie (abondants contre-ré et contre-mi) et abuse de ces basses en croches répétées qui ont hanté tout l'âge galant. Si le souffle mélodique de Salieri paraît bien court, le Finale du premier acte témoigne de son incontestable métier.

Pour défendre une telle oeuvre, il fallait une distribution d'exception : nous la trouvons ici. Les étincelantes Damrau et Rancatore, la première plus classieuse mais plus métallique, la seconde plus tendre mais parfois plus serrée, rivalisent de brio. La troisième soprano, Kühmeier, timbre ombré et chant émouvant, ne démérite pas dans un rôle écrit pour l'immense Pacchierotti. Barcellona fait valoir ses chaudes couleurs d'alto mais aussi cette élocution trop couverte qui a entravé sa carrière, tandis que Sabbatini se fie à son émission éclatante, perdant légèrement de vue la justesse à l'acte II à force de (sur)timbrer, comme tant de ténors italiens. L'Orchestre et les Chœurs de la Scala, fort sollicités, se montrent corrects, sans plus, conduits d'une main de fer par un Muti qui, dans ce répertoire, préfère toujours la netteté des lignes et l'éclat au chiaroscuro et aux nuances.

Cette production avait été conçue pour fêter dignement la réouverture de La Scala en 2004, après trente mois de travaux : il s'agissait donc d'un spectacle de prestige, confié à Luca Ronconi flanqué de Pier Luigi Pizzi. Le premier a voulu préserver une certaine "distanciation", à travers une gestuelle volontairement stylisée, chorégraphiée ; le second impose son univers visuel néo-baroque (cavalcade figée de chevaux renaissants ; bleu dominant, tranché de rouge pour Sémélé, de blanc pour Europe ; danseurs empanachés pour le long ballet, etc.). Si les costumes ne sont pas toujours heureux (les soldats en cuir et casques de moto évoquent La Guerre des étoiles), le dispositif scénique s'avère grandiose : la scène se divise en deux dans le sens de la hauteur pour abriter le chœur, d'immenses escaliers coulissants structurent l'espace et tous les changements se réalisent prestement à vue (le dédale de coursives métalliques représentant la prison est superbe). Peu d'émotion mais beaucoup de glamour, donc, pour cette soirée qu'Erato a bizarrement mis treize ans à commercialiser...

O.R.