Allbastrina, La Pifarescha, dir. Elena Sartori (2016).

CD Glossa 923902. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

Comme le précise la notice, il s'agit du « premier opéra composé par une femme et dont la représentation hors d'Italie est documentée ». Fille de Giulio Caccini, le célèbre et vétilleux auteur des Nuove musiche (1601), Francesca fit ses armes, en compagnie de son père, de sa sœur et de sa belle-mère, au sein du Concerto Caccini, qui se produisit notamment lors du mariage par procuration de Marie de Médicis et d'Henry IV (1600) - mariage pour lequel furent justement écrits les « premiers » opéras (conservés) de l'histoire, les Euridice rivales de Peri et de... Caccini père. Par la suite, Francesca resta attachée à la cour des Médicis, devenant en 1607 (l'année où Monteverdi donne son Orfeo mantouan) la musicienne la mieux payée de Florence.

C'est Marie-Madeleine d'Autriche, régente de Toscane, qui, pour fêter le mariage de sa fille, lui passe commande, en 1625, de cette Libération de Roger de l'île d'Alcine. Une œuvre (la première de l'histoire de la musique à s'inspirer de l'Orlando furioso de l'Arioste) qui ne se prive pas de monter en épingle le pouvoir des femmes : ensorcelé par Alcine, le paladin Roger n'est sauvé de ses griffes que grâce à l'aide d'une magicienne plus puissante, Mélisse. L'ouvrage de Caccini, en un prologue et quatre scènes, tient encore le milieu entre la fête de cour et l'opéra proprement dit : l'intrigue, minimale, y est surtout prétexte à digressions hédonistes et merveilles de machinerie, et se clôt sur un carrousel et un bal véritables, au cours duquel les nobles spectateurs deviennent acteurs à leur tour. Si le récitatif de Caccini apparaît plus pauvre et hiératique que celui de Monteverdi, la compositrice veille à le ponctuer d'airs, de chœurs et d'ensembles variés : le duo devenant trio des Demoiselles, « Aure volanti », qui rappelle l'art des Demoiselles de Ferrare, apparaît ainsi particulièrement délicieux, tout comme les strophes du Berger et celles de la Sirène, qui suivent. Plus dramatiques, et efficacement « mis en espace » ici, les chœurs des Monstres et des Plantes métamorphosées côtoient divers balli (dont l'un emprunté à Falconieri) et improvisations instrumentales.

Si l'« instrumentation » semble avoir été assez précisément indiquée par Caccini, l'on n'en admire pas moins la réalisation colorée mais pleine de tact des ensembles La Pifarescha et Allabastrina. La couleur du continuo change selon qu'il accompagne Alcina (clavecin), Melissa (orgue) ou Roger (théorbe) et de belles péroraisons de cornets et/ou violons enluminent les apparitions divines. Côté voix, on est davantage séduit par la sensuelle Sirène de Francesca Lombardi Mazzulli, l'élégant Neptune de Raffaele Giordani et la profonde Melissa de Gabriella Martellacci, que par les protagonistes - un Mauro Borgioni plutôt timide (baryton dans un rôle de ténor grave), une Emanuela Galli assez sèche (dans un rôle rappelant celui de la Messagère montéverdienne) et, surtout, une Elena Biscuola dont l'émission instable et serrée témoigne davantage de l'angoisse d'Alcine que de son pouvoir de séduction. Néanmoins, une résurrection vivante (y compris en termes de prise de son) d'une partition historiquement importante.

O.R.