L'Arpeggiata, dir. Christina Pluhar (2015).

CD + DVD Erato 0190295969691. Notice en français. Distr. Warner Music.

Commandé par le Teatro Mayor de Bogotá (Colombie), le spectacle Orfeo Chamàn tente d'opérer une fusion entre l'esthétique du XVIIe siècle européen et un certain héritage sud-américain, la musique baroque et le folklore andin, la mythologie et les transes amérindiennes. En s'inspirant du livret de l'Orfeo de Monteverdi ainsi que d'extraits de l'Odyssée et de légendes de son pays, le poète Hugo Chaparro Valderrama a écrit une pièce (El Jaguar de Orfeo), réduite ensuite pour la scène lyrique par Christina Pluhar, qui en a composé la musique. Pour cela, elle a eu recours soit à des motifs d'époque baroque (celui emprunté à Christian Ritter évoque le célèbre « Si dolce è il tormento » de Monteverdi), soit à des chants traditionnels ou populaires (dont une mélodie d'Atahualpa Yupanqui, mais aussi un thème tzigane), soit à sa propre inspiration - qui, hélas, joue toujours des mêmes effets : recours sempiternel aux arpèges et ostinatos, passacailles et variations jazzy, dont la similarité lasse vite l'auditeur. Même si l'instrumentation apparaît colorée et habile (cordes pincées et frottées alternent avec le cornet, le piano et diverses percussions), apte à créer de beaux climats sonores, le contenu musical peine à soutenir l'intérêt. Dans le DVD de deux heures et demie (!) joint au disque, l'esthétique très post-soixante-huitarde du spectacle de Rolf et Heidi Abderhalden (hésitant entre look « Nature & Découverte » et science-fiction du pauvre) prête à sourire, d'autant que les jeunes chanteurs enrôlés dans l'aventure s'y montrent scéniquement mal à l'aise. Ce sont pourtant eux qui justifient l'écoute, particulièrement le guitariste aveugle argentin Nahuel Pennisi (Orfeo), à la poignante voix de contraltino : trop souvent cantonné dans des mélodies lénifiantes, il bouleverse à l'occasion, comme dans son lamento sur Eurydice, rehaussé de contrepoint (plage 9). Autre voix mixte haut perchée, celle de Vincenzo Capezzuto (Butes, Nahual) caresse moins l'oreille, à cause d'un placement nasal trop « pop » pour notre goût, tandis que le timbre le plus chaud et, finalement, le plus « mâle » s'avère être celui de la mezzo Luciana Mancini (Euridice) ! Ici, même le ténor Emiliano Gonzalez Toro (réduit aux utilités) se voit sommé de chanter dans le haut de son registre - ce qui apparaît cohérent avec l'esthétique sud-américaine (dans laquelle les voix graves sont peu goûtées et peu présentes) mais contribue à affadir une musique trop délibérément « planante ».

O.R.