Maïlys de Villoutreys, Isabelle Poulenard (sopranos), Robert Getchell (ténor), Ensemble Amarilis, Héloïse Gaillard et Violaine Cochard (décembre 2014).

CD NoMadMusic NMM 017. Distr. NoMadMusic.

En 1753, Antoine Dauvergne (1713-1797) donna avec Les Troqueurs et La Coquette trompée une réplique si éclatante à La serva padrona de Pergolèse qu'il imprima au genre naissant de l'opéra-comique un style spécifique imité et prolongé par Monsigny, Philidor, Dalayrac ou Grétry. Dauvergne, qui a sans doute écrit des pages plus savantes, a eu dans ces deux ouvrages le souci de la simplicité et de l'efficacité.

Plus de deux siècles plus tard, Gérard Pesson (né en 1958) s'est imposé comme le compositeur le plus personnel de sa génération. Il possède son propre univers sonore qu'il explore et continue d'élargir grâce à une exceptionnelle virtuosité de pensée et de plume. Il enseigne au Conservatoire où Dauvergne ne serait pas son plus brillant élève mais le plus proche du radiateur. En remodelant La Coquette trompée (avec la complicité de Pierre Alferi pour le livret), il n'a pas déchu : le prologue de cette Double Coquette est brillant, piquant, stravinskien parfois, et ses interventions dans l'instrumentation des récitatifs et des airs de Dauvergne vont dans le sens d'un enrichissement ; en revanche, les pages vocales de son cru se distinguent par un évident souci de recherche et de raffinement.

C'est là que le bât blesse : dans un opéra, l'illusion théâtrale suppose qu'on fasse abstraction du style historique auquel il appartient pour être touché d'abord par son langage spécifique, son ton, en symbiose avec le sujet : Così, c'est Così, y introduire un air de La finta giardiniera romprait le charme, et pire encore si Fiordiligi entonnait « Di tanti palpiti » voire « Casta diva ». Or, en étant confronté dans La Double Coquette à deux univers différents, les péripéties esthétiques, antagonistes ou complices, prennent le pas sur le conte dont les tenants et les aboutissants ne touchent plus guère. Il serait mal venu de tenir rigueur à Pesson des coups de pouce qu'il a donnés à Dauvergne. On lui opposera juste le rare exemple de Reynaldo Hahn empruntant dans Ciboulette une valse à Olivier Métra et s'abstenant d'y ajouter une note pour la rehausser et l'accorder à son style propre.

La qualité de la distribution, dominée par la voix et la présence lyrique d'Isabelle Poulenard, et l'excellence des instrumentistes sont soulignées par une captation si proche qu'elle en devient cinglante voire agressive. De là une ardeur un peu glaciale qui se retrouve, en second disque, dans l'enregistrement public des Troqueurs à l'Opéra royal de Versailles en octobre 2011 avec Jaël Azzaretti et Isabelle Poulenard (sopranos), Alain Buet et Benoît Arnould (barytons). Fidèle à l'édition critique du Centre de Musique baroque de Versailles, l'interprétation un peu roide et la tendance à sur-jouer pour passer la rampe ravirons les uns et laisseront les autres sur leur faim. À tort ou à raison, bien entendu !

G.C.