Joyce Di Donato (Romeo), Olga Kulchynska (Giulietta), Benjamin Bernheim (Tebaldo), Roberto Lorenzi (Lorenzo), Alexei Botnarciuc (Capello), Gieorgij Puchalski (le Compagnon, rôle muet), Philharmonia Zurich, Chœur de l'Opéra de Zurich, dir. Fabio Luisi, mise en scène: Christof Loy (Zurich, juin 2015).

DVD Accentus music ACC20353. Distr. Harmonia Mundi.

En matière de mise en scène d'opéra, les partisans des relectures "tendance" ne prêtent pas qu'aux riches. Le présent spectacle conçu par Christof Loy, star du Regietheater présenté comme créateur "conceptuel", régulièrement hué par le public helvétique pour lequel il conceptualise en effet ces derniers temps, est d'une vacuité si affligeante qu'on admire ceux encore capables de lui accorder quelque crédit. En deux mots : la tragédie se déroule dans les pièces à l'abandon d'une maison dévastée, sans doute dans les années quarante (suivez mon regard ), où des choristes en smoking remâchent leur haine. Un tourniquet exhibe ces espaces dénudés l'un après l'autre, de manière répétitive et désolante. Juliette semble avoir été naguère violentée par son père auquel l'attache un indéfectible lien oedipien qui l'empêche de céder aux appels de Roméo. En signe de purification, on la verra rejoindre ce fameux lavabo de porcelaine blanche (évidemment) dont le ridicule nous avait déjà réjoui dans la régie de Vincent Boussard à San Francisco en 2012 (lire ici). Concept clé de ce cérémonial totalement étranger à la poétique de l'œuvre comme à ses ressorts dramatiques : de bout en bout, un jeune androgyne tout de noir vêtu hante les lieux - double du héros amoureux ? remords vivant incarné ? ange maléfique ? Ad libitum.

Le Roméo de l'impeccable Di Donato est sans doute le meilleur qui se puisse applaudir aujourd'hui, par l'engagement théâtral comme par l'aplomb vocal; l'école néo-belcantiste, au meilleur dans ses da capo à variations, magnifie une voix malléable et suprêmement éloquente. Seule réserve - déjà exprimée à propos de la soirée américaine susdite : ce mezzo, qui tend à s'éclaircir singulièrement à présent, flirte avec les couleurs du soprano sfogato et semble parfois plus haut placé que le soprano de sa partenaire. Surtout si cette dernière, l'Ukrainienne disciplinée et ardente Olga Kulchynska, lui en remontre sur le plan de l'intensité de la couleur et du bas-médium, avec toutefois moins de brio dans la colorature. Le jeune ténor maison, Benjamin Bernheim, soutient son chant de belle manière et conquiert aisément ses aigus, plus sûrement que ses graves ou que les fioritures dont on aimerait qu'il orne ses reprises. Luisi fouette ses accelerandi, laisse couler ses accompagnements mais respecte les tempi et les canons du romantisme, auquel le metteur en scène préfère dans doute les canons sans romantisme.

J.C.