Peter Mattei (Don Giovanni), Kwangchul Youn (le Commandeur), Anna Netrebko (Donna Anna), Giuseppe Filianoti (Don Ottavio), Barbara Frittoli (Donna Elvira), Bryn Terfel (Leporello), Stefan Kocán (Masetto), Anna Prohaska (Zerlina), Chœur et Orch. du Teatro alla Scala, dir. Daniel Barenboim, mise en scène : Robert Carsen (Milan, 2011).
DVD DGG 00440 073 5218. Distr. Universal.

 

La captation vidéo confirme le souvenir ambivalent laissé par cette production scaligère de décembre 2011 (lire ici) : mise en scène intellectuellement jouissive, mais réalisation musicale très inégale. La mise en abyme opérée par Robert Carsen fait de son Don Giovanni l'explorateur des frontières de la fiction théâtrale, metteur en scène de son propre mythe rattrapé par un principe de réalité : les décors de Michael Levine reproduisent coulisses, plateau et salle d'une Scala d'où surgira finalement le Commandeur. C'est peut-être sans surprise dans l'univers du Canadien - tout comme l'opposition tranchée entre costumes historiques (de velours pourpre) et vestiaire contemporain (noir et sobre), signée Brigitte Reiffenstuel -, mais c'est brillamment tenu et réalisé, jusqu'au retournement final qui fait la nique à l'épilogue de l'opéra.

La direction musicale de Daniel Barenboim, elle, est aux antipodes de cet esprit joueur et analytique : toute de pompe et de lenteurs, voire de lourdeurs - voulue funèbre, la scène du dîner en est privée de toute tension. Si le public fait un triomphe à Donna Anna-Netrebko, on ne le suivra cette fois en rien : la voix, certes élargie, force son beau timbre jusqu'à y enfouir de désagréables raucités, et les approximations d'intonation dont la diva est coutumière prennent ici une place que Mozart ne supporte pas. L'Elvira de Barbara Frittoli est bien plus adéquate, tout comme la Zerlina de tempérament d'Anna Prohaska. Son Masetto est opulent (mais engorgé), ne déparant pas face au Leporello vorace d'un Bryn Terfel en grande forme. Filianoti dessine un Ottavio assez raide, Kwangchul Youn est un Commandeur de belle envergure. Maître de ce petit monde, Peter Mattei est un Giovanni autoritaire et racé qui heureusement crève l'écran et convoque à lui seul un drame cynique là où l'orchestre imposerait surtout un faste sans danger.

C.C.