Leonardo de Lisi (Bajazet), Filippo Mineccia (Tamerlano), Giuseppina Bridelli (Asteria), Ewa Gubanska (Irene), Antonio Giovannini (Andronico), Benedetta Mazzucato (Clearco), Raffaele Pe (Leone), Giorgia Cinciripi (Zaida), Auser Musici, dir. Carlo Ipata (2014).
CD Glossa 923504. Distr. Harmonia Mundi.

 

Depuis longtemps l'on savait que le poignant Tamerlano (1724) de Haendel s'inspirait d'une œuvre de même titre de Francesco Gasparini (1661-1727). Plus exactement, de la seconde des trois versions mises en musique par Gasparini de l'excellent livret d'Agostino Piovene, largement remanié au fil du temps (particulièrement chez Haendel qui en supprime deux personnages). Si cette seconde version, donnée en 1719 à Reggio Emilia, portait le titre de Bajazet, ce n'était pas pour rien : afin de mettre en valeur le talent du ténor Francesco Borosini, titulaire du rôle du sultan Bajazet prisonnier du Tartare Tamerlan, Gasparini le faisait désormais mourir en scène au fil d'une série d'ariosos éminemment modernes. Et lorsque Haendel, cinq ans plus tard, engagea pour le même rôle le même Borosini, il ne se fit pas faute d'imiter (parfois même de décalquer : écoutez la sicilienne et les contretemps finaux !) les expérimentations de Gasparini. L'on était donc très curieux d'entendre l'opéra de ce dernier, entièrement conservé (à Vienne) et enregistré ici pour la première fois.

Las, Haendel a beau être un plagiaire, il n'en reste pas moins un génie, titre auquel Gasparini ne peut prétendre. Ni le compositeur, ni le chef, ni les chanteurs, ici, ne semblent vraiment à la hauteur de leur tragique sujet. Contemporain d'Alessandro Scarlatti, Gasparini évoque parfois cet illustre maître dans des récits riches et modulants comme dans certains de ses airs les plus pathétiques (la « rondinella » de Leone à l'acte II ou l'extraordinaire « Morte non è » du III), mais se complaît souvent dans une veine arcadienne, élégiaque et métaphorique (ah, l'implacable vengeance du papillon promise par Clearco au II !) qui ôte beaucoup d'impact à des situations potentiellement fortes.

Il est vrai qu'à la tête d'un mignon petit ensemble d'une quinzaine de musiciens, Ipata dirige ce drame inspiré de Pradon comme il le ferait d'une cantate de chambre, instrumentant joliment (ici une ligne pour flûte, là une doublure aux hautbois ou au basson), mais négligeant le sens et l'enjeu des scènes (les deux tentatives de meurtre d'Asteria passent inaperçues). La distribution vocale, enfin, est de la même eau : charmante, musicienne, véloce (à l'exception de la piteuse Zaida), mais peu caractérisée. Efficaces, sans plus, les deux mezzos censées évoquer les légendaires Bulgarelli (future égérie de Métastase et Asteria en 1719) et Bordoni (Irene) d'antan. Falots, les interprètes des principaux antagonistes : un falsettiste incertain et sans aura en Tamerlano (conçu pour Bernacchi, premier Rinaldo de Haendel !), et un ténor sans grave ni agilité dans une partie écrite aux mesures du baryténor Borosini (dont Petrou avait d'ailleurs distribué le rôle à un baryton dans son intégrale du Tamerlano de Haendel). Seul le second des trois contre-ténors, Antonio Giovannini, emporte vraiment l'adhésion, dans le personnage hélas assez fade d'Andronico. Nos « deux cœurs » saluent donc surtout la rareté...

O.R.