Bernhard Berchtold (Vasco de Gama), Claudia Sorokina (Sélika), Pierre-Yves Pruvot (Nélusko), Guibee Yang (Inès), Kouta Räsänen (Don Pédro), Rolf Broman (le Grand Inquisiteur, le Grand Prêtre de Brahma). Chœur de l'Opéra de Chemnitz, Philharmonie Robert-Schumann, dir. Frank Beermann (2013).
CPO 777 828-2 (4 CD). Distr. DistrArt Musique. 


En 1837, Meyerbeer et Scribe songent à une Africaine puis l'abandonnent, y reviennent, l'abandonnent de nouveau... Le projet reprend corps après Le Prophète, l'Africaine devient l'Indienne Sélika et le héros pour lequel elle se sacrifie, Vasco de Gama - qui donne à la partition son nouveau titre. Mais Scribe meurt en 1861 et Meyerbeer en 1864, pendant les répétitions de l'opéra. Le célèbre Fétis prend alors des ciseaux et retaille L'Africaine que l'on connaît - alors que ce retour au titre initial a perdu son sens - et à laquelle le public fait un triomphe en 1865. Il y a là, en effet, de quoi lui plaire : un opéra à grand spectacle, teinté d'exotisme coloré - le quatrième acte représente une grande cérémonie indienne, avec prêtresses et bayadères. Un opéra, aussi, où le métier et l'inspiration du compositeur atteignent parfois leur sommet, notamment dans l'invention mélodique et la science de l'instrumentation. Il n'empêche : Fétis abrège certains numéros, à commencer par les deux duos d'amour entre Sélika et Vasco ; d'autres disparaissent, comme la Ronde bachique du troisième acte ou l'air d'Inès au cinquième. Voici, à la faveur de l'édition critique, Vasco de Gama rétabli dans ses droits : un événement, donc.

L'événement s'arrête là : la distribution est inégale. Bernhard Berchtold, s'il pâtit d'un timbre sans éclat et atteint ses limites dans les passages de vaillance, campe un Vasco stylé et nuancé, s'accommode plutôt bien de la déclamation à la française. Mais Claudia Sorokina manque de fraîcheur et de rondeur sensuelle ; de plus, sa Sélika, pour investie qu'elle soit, n'a pas la souplesse nécessaire pour les airs de la reine esclave - celui du sommeil notamment -, surtout lorsqu'ils s'ornent de vocalises : la mort sous les parfums empoisonnés du mancenillier n'a rien de cette torpeur extasiée que suggère la musique. On lui préfère l'Inès plus déliée de Guibee Yang, nonobstant un chant assez droit et des aigus un peu acides. Pierre-Yves Pruvot a beau avoir un timbre monochrome et atteindre ses limites en Nélusko, à la fois farouche et attendri, il porte haut l'étendard du chant français, alors que les autres clés de fa s'empêtrent souvent dans leurs notes et leurs syllabes. L'enregistrement fait écho à des représentations de l'Opéra de Chemnitz : Frank Beermann veille à restituer fidèlement la partition de Meyerbeer, dont on goûte les détails et les subtilités. Mais sans doute a-t-on perdu en urgence : le théâtre fait un peu défaut.

On prend donc ce Vasco de Gama, qui rétablit une vérité, mais on garde les anciennes Africaine où l'on entend des voix illustres, à commencer par celle qui réunit Shirley Verrett et Plácido Domingo.

D.V.M.