© Stefan Brion

Le Voyage dans la Lune est une féerie qui mêle à la poésie des évocations lunaires et des rêves du prince Caprice, la caricature, l’absurde et l’humour mélancolique. La mise en scène de Laurent Pelly concilie onirisme et grossissement du trait : les Sélénites et leurs costumes neigeux, à la fois délicats et prêtant à sourire par leur rondeur mimant la Lune (le roi Cosmos) ou encore les Terriens bariolés (Caprice en costume orange fluo) ou décoiffés (Microscope) évoluant dans un royaume de déchets multicolores et compressés. Comme à son habitude, le metteur en scène cisèle sa direction d’acteurs, laissant la place au gag – sans tomber dans le cabotinage –, sollicitant véritablement le chœur, et jouant aussi de la candeur des personnages (Caprice et Fantasia). À ce titre, Laurent Pelly compte parmi les rares metteurs en scène qui ne déjouent pas systématiquement la tendresse par une ironie plaquée tournant en dérision les personnages et les sentiments. Au contraire, l’émerveillement et la douceur trouvent toute leur place, ce qui n’empêche pas de sourire aussi face à la naïveté. On passe ainsi d’un sentiment à l’autre, entre éclats de rire francs et émotion, dans un rythme enlevé.
 
À tout seigneur tout honneur, Franck Leguérinel joue le roi V'lan avec truculence et panache. On admire à la fois l’aisance avec laquelle il se meut dans ce personnage de père dépassé par les envies lunaires de son fils, l’abattage comique et la présence vocale. Les autres solistes sont soit d’anciens membres de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique qui poursuivent leur formation vocale en conservatoire, soit des membres actuels. S’il n’est pas facile d’être un jeune ténor, car la voix doit se construire avec le temps, il faut acquérir les aigus, cultiver la souplesse et le souffle, et trouver les couleurs, le jeune Arthur Roussel (22 ans) navigue sans peine entre ces difficultés. Le timbre est lumineux, il fait preuve d’un grand sens du phrasé, son prince Caprice est sensible et tient la scène grâce à ses grandes qualités de comédien. La princesse Fantasia de Ludmilla Bouakkaz étonne par son agilité et sa maîtrise technique qui lui permettent d’affronter une partition exigeante, en outre elle compose un personnage savoureux, autant dans l’insensibilité première de la princesse, que dans l’émoi amoureux. Matéo Vincent-Denoble campe un Microscope bien sonnant, qui marque par une présence scénique évidente et une verve comique indéniable tant dans le jeu que dans le chant syllabique caractéristique des personnages comiques. L’ensemble des seconds rôles est tout aussi bien tenu par les maîtrisiens. Enfin, le chœur – dirigé par Sarah Koné – partage les mêmes qualités, on admire l’aisance scénique de ces jeunes musiciens, la précision de la mise en place et l’homogénéité des couleurs.
 
Le spectacle est conduit d’une main sûre par Alexandra Cravero à la tête des Frivolités Parisiennes. L’élan nécessaire à cette musique, mais aussi les couleurs délicates qui participent à la féerie, la tenue de l’ensemble, les respirations collectives… rien ne manque à la direction alerte et généreuse de la cheffe.
 
Si l’on regrette l’absence du très beau ballet des flocons et des coupures dans le livret parfois un peu radicales (pourquoi, par exemple, avoir ôté la conversation entre les deux souverains sur la pratique du pouvoir sur Terre et sur la Lune ? Elle n’a pourtant rien perdu de son actualité et de son comique), on doit célébrer la complète réussite de cette production. Celle-ci nous semble tenir avant tout au professionnalisme de tous les participants, y compris les plus jeunes, qui proposent non pas un spectacle d’école, mais bien une ambitieuse production fidèle aux standards élevés de l’Opéra-Comique.
 

Jules Cavalié

À lire : notre édition du Voyage dans la Lune/L'Avant-Scène Opéra n°319

Arthur Roussel (Caprice) et Ludmilla Bouakkaz (Fantasia). © Stefan Brion