Elsa Dreisig (Elizabeth). Crédit Monika Rittershaus / GTG

L’année dernière, dans ce même théâtre, à l’issue de la représentation d’Anna Bolena, on avait été plutôt séduit par la production, en restant toutefois sur notre faim. Cette Maria Stuarda, fait hélas pencher la balance dans l’autre sens. Si le dispositif scénique de Julia Hansen conserve sa poésie avec ses éléments bleu céruléen et la végétation luxuriante qui envahit le dispositif scénique, la direction d’acteur est proche de l’inanité, et surtout la lecture de l’œuvre au prisme du regard d’Elizabeth sur Marie vide la reine d’Angleterre de sa substance. De son bureau à l’avant-scène à cour, Elizabeth est en proie à ses propres projections sur Marie : rivale politique, elle craint surtout la séductrice, et l’esprit libre de son alter ego écossaise vivant avec un naturel qu’elle lui envie. Le second tableau de l’acte I est représentatif : Marie Stuart y apparaît dans une robe fluide, sans manches, allongée dans la forêt, vivant une osmose bucolique avec la nature alors qu’Elizabeth surgit enserrée dans une armure. Dès lors, la reine d’Angleterre perd sa dimension de personnage pour devenir un point de vue sur l’autre reine, chassant ainsi toute tension dramatique : quelle confrontation puisqu’Elizabeth est dépourvue de personnalité ? Ainsi, à la fin, la reine ne s’entretient pas avec son conseiller Lord Cecil, mais celui-ci prend les traits de son père (on voit d’ailleurs plus là un Henry VIII sorti de Gilbert & Sullivan que le terrible souverain anglais), et la scène n’est qu’un souvenir d’enfance qui revient en mémoire d’Elizabeth. À force de vouloir ancrer l’action dans une durée qui va au-delà du temps de la pièce, Mariame Clément finit par dissoudre complètement le nœud dramatique, on assiste même aux ébats d’Elizabeth et de Leicester, ce qui fait de ce dernier un manipulateur raté, là où la pièce réclame un infatigable défenseur de la justice.
            Malheureusement les égarements de la mise en scène ne sont que très partiellement rattrapés par les prestations vocales. À Elsa Dreisig revient la tâche d’assumer un rôle que la mise en scène extériorise complètement à sa propre histoire. Elle assure sa partie : la voix s’étoffe, la vocalisation se fait plus souple, l’italien plus précis, et surtout ce que le style n’obtient pas encore, l’incarnation le donne. Artiste sensible et intelligente elle parvient malgré tout à composer un personnage tenant compte du livret et de son contraire – c’est-à-dire la mise en scène. Soulignons encore ici les qualités de tragédienne de Stéphanie d’Oustrac, sa capacité à occuper la scène, car les louanges doivent bien vite d’arrêter tant cette vocalité lui semble étrangère. Notre curiosité artistique ne se borne pas à « vérifier » une réalisation stylistique, mais encore faut-il donner une image – même radicalement perturbante – de la partition. Edgardo Rocha est plus dans son élément, mais il manque de couleurs et de consistance pour ce personnage favorisé par le destin, qui choisit délibérément l’ombre. On sera mieux servi du côté des clefs de fa, par Nicola Ulivieri en Talbot, au timbre de bronze quoiqu’un peu en force, mais surtout pas le Cecil de Simone Del Savio. La voix bien charbonneuse et souple, il démontre un beau sens de la ligne jouant à la fois du texte et de la couleur. Saluons aussi la bonne prestation d’Ena Pongrac en Anna Kennedy.
            Stefano Montanari, qui dirigeait Anna Bolena, a dû déclarer forfait pour cette session, il est remplacé par Andrea Sanguineti, qui se contente d’accompagner sans mettre en valeur ni la poésie, ni l’architecture de la partition.
            Monter la trilogie Tudor, fleuron du répertoire belcantiste, est une intention louable, mais sur les bords du Léman le péché guidé par une bonne intention ne reçoit pas (complètement) le pardon…

J.C.

À lire, notre édition de : Maria Stuarda / L'Avant-Scène Opéra n°225


Stéphanie d'Oustrac (Marie Stuart) Crédit Monika Rittershaus / GTG