Tony Bardon (Almaviva) et Cristian Hodrea (Bartolo). © Török Adam

La production du Barbier de Séville de Emese Szabó est de celles qui réconcilient théâtre et opéra. Réalisée avec un minimum de moyens, presque sans décor, avec quelques accessoires, deux ou trois meubles, quelques perruques et pièces de costume tout droit sorties du magasin, elle joue d'une invention comique constamment renouvelée, créant un univers bouffe hors du temps, où sont présents tous les codes de la commedia dell’arte telle que Sterbini l’a adaptée de Beaumarchais, actualisés dans un judicieux mélange d’époques variées du XVIIIe siècle à nos jours. La mise en scène directe, riche de clins d’œil et de sous-entendus, fait exister les personnages à travers une direction d’acteurs très physique. La bagarre qui conduit au finale de l’acte I y prend une incroyable réalité, et jamais l’action ne s’arrête sur un plateau en ébullition. Avec l’orchestre en fond de scène, l’action se joue essentiellement au proscenium et utilise à plein la salle pour les entrées et les sorties des personnages. On reste admiratif de la précision et de la virtuosité d’une mise en scène réglée en tout juste trois semaines pour cette reprise, six mois après sa création. Une telle performance n’est sans doute possible que dans un théâtre qui, comme l’Opéra hongrois de Cluj, fonctionne sur la base d’une troupe où la familiarité et la complicité entre ses membres est immédiate et bénéficie à la liberté sur plateau.

Dans le rôle-titre, Sándor Balla possède une forte présence scénique et une voix de baryton puissante mais son chant peu nuancé déséquilibre un peu le duo avec l’Almaviva, élégant et stylé de Tony Bardon, authentique ténor rossinien à l’italien parfait, et qui fait regretter que le grand air final n’ait été supprimé. Sa composition en Don Alonso zozotant et postillonnant montre qu’il possède aussi des capacités comiques, irrésistibles lorsqu'il se déchaîne sur son épinette dans la leçon de chant, faisant oublier l’aristocrate hautain de son entrée en scène. La jeune Dóra Blatniczki est une Rosine délurée et d’une délicieuse insolence. La mezzo de 22 ans, tout juste sortie du Conservatoire, paraît déjà très à l’aise en scène et donne beaucoup de relief à son personnage. Si l’extrême grave pourra encore gagner en puissance et en rondeur, elle possède déjà une voix d’une belle longueur, beaucoup de facilité dans l’aigu et se montre extrêmement prometteuse. La vis comica naturelle constitue le principal atout de Cristian Hodrea en Bartolo mais il semble toutefois mis à l'épreuve dans le long et difficile air du premier acte par les tempi un peu trop lents du chef. On pourrait souhaiter un peu plus de musicalité à « La calunnia » de János Szilágyi mais le chanteur en impose par sa présence. De Berta, la mise en scène fait une jeune coquette en robe rose-bonbon, bien loin de la « vecchietta » de son air qu’elle chante avec force aigus facultatifs. Ajoutons à nos compliments l’Ambrosio de Ottó Tamás Peti, géant jouant les brutes sans état d'âme, ainsi que les excellents Fiorello de Márk Kincses et l'Officier d'Arnold Gergely. Le chœur masculin s’en donne à cœur joie dans ses deux apparitions, en musiciens des rues avinés pendant l’aubade d’Almaviva puis en soldats de la « Forza », chaque choriste portant un uniforme différent, parfaitement identifiable. Une façon de réaffirmer l'actualité d’un scénario indémodable. L’ensemble produit un effet très réjouissant et fait vivre brillamment l'esprit frondeur de l'opéra d'un compositeur de 24 ans.  

Alfred Caron


À lire : notre édition du Barbier de Séville/L'Avant-Scène Opéra n°37


Sándor Balla (Figaro). 
© Török Adam