© Jean-Louis Fernandez

Anxiété liée à la première ? Intention théâtrale débordante ? Ben Glassberg impose au plateau et à l’orchestre un tempo suffocant, qui ne connaîtra un apaisement tout relatif qu’au deuxième acte. En outre, il maintient le volume sonore de l’orchestre à un niveau qui emporte parfois les chanteurs. Pourtant, cette lecture théâtrale ne manque pas d’attraits : l’orchestre donne un relief saillant à la partition et la tempête souffle avec ardeur. Voire, ce rythme échevelé donne un sentiment d’urgence qui sied à l’inquiétude permanente et à la folie maladive du bossu.

Dans ces conditions, les chanteurs sauvent les meubles. Pene Pati – timbre solaire et souci de l'incarnation chevillé au corps – parvient à imposer plus de souplesse dans « Parmi veder le lagrime », mais se voit contraint d’expédier ses aigus le reste du temps. Rosa Feola, qui remonte sur scène deux mois après avoir accouché, assure grâce à son solide métier technique et sa musicalité naturelle, mais, contrairement à son habitude, elle ne colore, ni ne module son rôle. Gageons qu’une détente du tempo et la récupération de ses forces lui permettront bientôt de proposer une incarnation à la hauteur d’elle-même. Sergio Vitale chante son premier Rigoletto. Si le tempo tambour battant le pousse parfois à ses limites, il livre une prestation stylée, d’un beau legato, et interprétant le personnage sans excès, en disant bien son texte. Citons aussi le Sparafucile charbonneux à souhait de Paul Gay et la Maddalena capiteuse de Katarina Bradic ou encore les excellents Julien Henric (Borsa) et Richard Rittelmann (Marullo).

Richard Brunel propose de transposer Rigoletto dans une compagnie de danse. Le duc est maître de ballet, il courtise les ballerines puis les abandonne. La déchéance vient de ce que non seulement les danseuses deviennent des filles-mères, mais elles sont aussi condamnées à quitter la compagnie. La foule des courtisans se transforme ainsi en une masse diverse, faite de préparateurs physiques, de techniciens, d’administratifs et autres danseurs. Coup d’œil subtil dans le monde d’aujourd’hui : cette foule est celle qui sait mais qui laisse faire, voire qui encourage… il faut bien plaire au prince. Si l’on peut se demander où s’arrêteront les transpositions systématiques de Rigoletto, qui d’une certaine façon finissent par toutes se ressembler, le propos se tient et n’obère pas la compréhension du livret. Dans cette réalisation, on apprécie une direction d'acteurs soignée et un intelligent dispositif scénographique : le plateau tournant permet de faire passer la loge/chambre de Gilda des coulisses côté cour, aux coulisses côté jardin dans un mouvement d’apparition/disparition. Ainsi le décor change, donnant à voir les lieux différents où s’exerce la domination du duc, et la chambre étriquée de Gilda explique son désir de désobéissance à son père, pour chercher un peu d’air ailleurs.

Une représentation pleine de promesses donc, que la suite de la série doit maintenant réaliser.

 Jules Cavalié

À lire : notre édition de Rigoletto/L'Avant-Scène Opéra n° 273


© Jean-Louis Fernandez