Esa-Pekka Salonen. © SF / Marco Borrelli

Conclusion symphonique de notre séjour à Salzbourg et ouverture sur un autre répertoire avec ce concert des Wiener Philharmoniker dirigés par Esa-Pekka Salonen. La matinée débute avec le Prélude et la Mort d’Isolde de Tristan et Isolde en version symphonique. Les viennois jouent de leurs couleurs pour faire chatoyer la partition de Wagner : le phrasé est ductile, les timbres se fondent dans une pâte orchestrale souple et les climax irradient plus qu’ils ne donnent le vertige. Ces qualités, cette précision sans raideur et ce son chaleureux appartiennent aux Wiener en propre, et dans ce cas, ils semblent les déployer dans un cadre que le chef aménage pour eux. Ainsi, un sentiment de liberté et d’évidence frappe l’oreille, mais au détriment d’un manque de construction dramatique des deux pièces. Sans faire de surplace, le flux musical peine à trouver le chemin de la tension. Les sections se juxtaposent sans construire un récit unifié.

Heureusement, la Turangalîla se révèle être tout le contraire. Esa-Pekka Salonen est un chef incisif, privilégiant un son aux arêtes définies, dynamique et sans alanguissements, et dont la souplesse évoque celle du danseur ou du gymnaste. Les qualités des Wiener déjà évoquées se révèlent ici un idéal complément à l’esthétique du chef finnois. La symphonie, qui alterne entre mouvements suspendus (les 3e et 9e « Turangalîla », le 6e « Jardin du sommeil d’amour ») et mouvements de haute intensité rythmique (l’introduction, le 5e « Joie du sang des étoiles » ou le final) remet sans cesse en jeu l’équilibre esthétique entre le chef et l’orchestre. Le résultat est luxuriant : précision et énergie rythmique nourrissent le foisonnement sonore, le détail des différents plans permettant d’esquiver tous les écueils et notamment celui de platement « sonner fort ». La joie et la sensualité requises par Messiaen dans ses indications de caractère se font également bondissantes et caressantes. Le rebond mène à la suspension et réciproquement, construisant ainsi une narration dynamique qui justifie l’ampleur sonore de la partition : celle-ci n’est pas gratuite mais résulte de la circulation de la musique dans l’orchestre. En effet, la polyphonie complexe de la symphonie – grouillante par instants – superpose des éléments hétérogènes (canon rythmique du 5e mouvement) dont la combinaison requiert clarté d’ensemble et vie individuelle.

Salonen mène le récit avec bonheur, d’un mouvement à l’autre il tisse des liens, s’appuyant sur les retours des thèmes et leurs similarités pour construire une lecture cohérente. Le piano de Yuja Wang s’intègre parfaitement à la vision du chef alors que les ondes Martenot de Cécile Lartigau semblent en retrait, seule couleur manquante à la dansante fresque amoureuse de Messiaen.

Jules Cavalié


© SF / Marco Borrelli