Anaïs Constans (Donna Anna), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Julie Boulianne (Donna Elvira), Florie Valiquette (Zerlina), Philippe Sly (Don Giovanni) et Geoffroy Salvas (Masetto). © Louise Leblanc

Éclatante réussite à l'Opéra de Québec, où la magnifique distribution de Don Giovanni se coule avec bonheur dans l'inventive et solide direction d'acteurs de Bertrand Alain. Transposant l'intrigue à l'époque victorienne, le comédien et metteur en scène québécois fait évoluer les chanteurs dans un élégant décor de Julie Lévesque qui, avec ses arches, treillis et bosquets, rappelle quelque peu l'atmosphère de Watteau ou de Fragonard. Pendant l'ouverture, cet espace accueille un superbe tableau vivant comme on les aimait au XIXe siècle ; après quelques minutes, les différents personnages s'animent tour à tour avant de s'assembler autour de la dépouille de Don Giovanni, qui reprend vie en tournant brusquement la tête vers la salle, les yeux dissimulés derrière des verres fumés. Inquiétant, mystérieux et fascinant, tel nous apparaît le héros de Mozart et Da Ponte, qui semble d'entrée de jeu défier les lois de la Nature. Grâce aux exceptionnels dons de comédien de Philippe Sly, le libertin est en outre non seulement un redoutable séducteur, mais un être véritablement dionysiaque, qui atteint par exemple à l'ivresse des sens pendant son air du champagne : aussi souple qu'un chat, ce Don Giovanni sautille, exécute des pas de danse et semble entrer en transe à la simple évocation des plaisirs qu'il se promet. Sur le plan vocal, l'interprète se distingue par un extrême raffinement, qui lui permet de susurrer certains passages avec une suavité absolument irrésistible.

Face à ce Don Giovanni félin à souhait, se dresse en premier lieu la Donna Anna de grande classe d'Anaïs Constans. À la beauté radieuse du timbre, la soprano française joint un merveilleux sens du phrasé, un legato de rêve et une belle sobriété de jeu, qui en font une remarquable mozartienne. Aussi bien dans les élans dramatiques (« Or sai chi l'onore ») que les passages plus élégiaques ou virtuoses (« Non mi dir »), elle dispose d'une palette d'expressions extrêmement riche. Véhémente et vindicative, l'Elvira de Julie Boulianne bénéficie de son opulent timbre de mezzo, qui sait fort bien traduire l'ambivalence des sentiments dans un « Mi tradì » d'une sensibilité à fleur de peau. La Zerlina de Florie Valiquette est quant à elle délicieuse, le timbre frais et le jeu naturel convenant idéalement à la jeune paysanne. En Leporello à l'abondante et longue chevelure blanche, Doug MacNaughton réussit à bien doser ses effets comiques, en particulier dans un air du catalogue des plus éloquents. Si Jonathan Boyd est capable de ravissantes notes pianissimi dans « Dalla sua pace », son émission inégale et sa difficulté à gérer ses crescendos entachent malheureusement « Il mio tesoro intanto ». Dotés tous deux d'instruments sonores aux riches harmoniques, Geoffroy Salvas et Alain Coulombe campent de très convaincants Masetto et Commandeur. Dans la fosse, Jean-Marie Zeitouni insuffle une énergie communicative à l'Orchestre symphonique de Québec, qui offre une lecture subtile de la partition de Mozart.

Louis Bilodeau



Philippe Sly (Don Giovanni) et Florie Valiquette (Zerlina). © Louise Leblanc