Mise en scène de Jan Lauwers.© SF / Maarten Vanden Abeele

Un immigré veut quitter la mine où il travaille pour regagner son pays. Mêlé malgré lui à une manifestation antifasciste, il s’évade ensuite du camp de concentration où on l’a soumis à la torture. Mais il ne retrouvera pas la liberté, emporté par une rivière en crue. Imaginerait-on sujet plus actuel ? Créée avec scandale en 1961, en pleine guerre d’Algérie, alors que le fascisme italien n’a pas tout à fait baissé la garde, Intolleranza 1960 témoigne d’une époque où certains compositeurs militaient, croyant que le communisme réservait encore des lendemains qui chantent – la fin dessine vaguement l’horizon d’un avenir meilleur.

Comme beaucoup de ses pairs, son camarade Henze faisant exception, Nono pourfendait l’opéra, symbole des divertissements de la bourgeoise capitaliste, qu’il fallait remplacer par de nouveaux concepts – un Pierre Boulez voudrait bientôt mettre le feu aux scènes lyriques : il optait donc pour une « action scénique en deux parties », sur un livret patchwork où il associait, entre autres, des textes d’Eluard – le célèbre « Liberté, j’écris ton nom » - et de Brecht, de Sartre et de Maïakowski… de Henri Alleg aussi, auteur de La Question. Une œuvre d’une heure, pour grand orchestre avec très nombreuses percussions réparties à droite et à gauche de la salle, dont l’écriture chorale, parfois amplifiée, se ressent beaucoup du Moïse et Aaron de Schoenberg, que rappellent aussi le ténor et le soprano haut-perchés de l’immigré et de sa compagne. Mais si l’orchestre est riche en contrastes et produit des effets parfois impressionnants, il ne révèle pas la même science que celui de son beau-père. Et la génération de Nono trouvait à l’époque en Stockhausen, un Xenakis, un Ligeti, ou le plus jeune Penderecki, des représentants plus inventifs.

La partition s’impose-t-elle encore aujourd’hui, à supposer qu’elle s’incarne en une production à la hauteur de ses enjeux ? Salzbourg, qui a toujours offert une place de choix au compositeur italien, a en tout cas apporté la plus belle réponse musicale qui soit, avec un magnifique Ingo Metzmacher à la tête d’une Philharmonie de Vienne décidément à toutes mains – on lui doit déjà in loco de mémorables Prometeo (1993) et Al gran sole carico d’amore (2009). Le chœur de l’Opéra de Vienne est fabuleux, l’immigré de Sean Panikkar et sa compagne Sarah Maria Sun, au suraigu sans faille, épatants, la Femme d’Anna Maria Chiuri d’une très forte présence. Mais le spectacle pèche par le théâtre et laisse la question sans réponse. Une fois que les choristes et les danseurs du Salzburg Experimental Academy of Danse  ont arpenté dans tous les sens l’immense plateau de la Felsenreitschule, symbole d’une collectivité à la dérive, prise dans l’étau de la persécution, Jan Lauwers n’a plus grand-chose à dire. Rien, surtout, ne provoque l’émotion, à commencer par le réalisme des scènes de torture. Et l’insertion d’un texte de son cru récité par un très symbolique poète aveugle, figure récurrente de son travail de metteur en scène, moqué par une foule nous renvoyant à nous-mêmes, ne fait que rallonger l’œuvre inutilement, lui ôter de sa force… et provoquer l’ennui au lieu de nous prendre à la gorge.  

Didier van Moere



Antonio Yang (Un algérien), Sean Panikkar (Un émigrant). © SF / Maarten Vanden Abeele