À
L’Avant-Scène Opéra, on aime la mise en scène de Robert Carsen : c’est elle qui fait la couverture de notre numéro 235 consacré aux Contes d’Hoffmann, c’est elle aussi que nous avons choisie pour l’Offenbach, mode d’emploi de Louis Bilodeau ! C’est dire qu’on a plaisir à la retrouver, vingt ans après sa création. Les effets de théâtre dans le théâtre sont toujours aussi pertinents ; l’ode à l’opéra, aussi spectaculairement servie par les décors ingénieux de Michael Levine qui recréent et explorent en 3D un théâtre imaginaire (latéralement de la scène aux coulisses, verticalement du plateau à la fosse, en profondeur de la cage à la salle) ; les éclairages de Jean Kalman, aussi éloquents. Le livret profus et complexe des Contes, enfin, est tour à tour mis en perspective ou rehaussé de truculence par une direction d’acteurs qui sait caractériser les personnages de quelques traits savoureux. 

Le plaisir se double de celui de retrouver l’Opéra de Paris après la longue éclipse qui l’a touché depuis le 5 décembre ; si la représentation a lieu, la revendication des artistes contre le projet de loi sur les retraites n’est pour autant pas disparue, et prend la forme d’un communiqué lu en amont du spectacle, provoquant dans la salle de bruyants remous (les violentes huées couvrant les applaudissements de soutien). Pas simple sans doute de trouver, dans ce contexte chahuté, l’équilibre intérieur nécessaire au rassemblement de ses moyens. 

Au pupitre, Sir Mark Elder paraît parfois en manque d’implication, voire d’attention, et les décalages fosse-scène sont nombreux. Malgré de très beaux solos (et la partition en est riche), l’Orchestre ne parvient pas à exhaler la puissance et le lyrisme que contiennent tant de pages des Contes – même le trio de l’acte d’Antonia n’émeut pas : un comble. Il faut dire que vocalement aussi, les déceptions concurrencent les heureuses rencontres. Au compte de ces dernières, l’on mettra en premier lieu les Valets de Philippe Talbot et le Spalanzani de Rodolphe Briand, tout simplement parfaits de style, d’élocution, de chant. Mais les Diables de Laurent Naouri manquent trop souvent d’égalité de timbre, phrasé et compréhension s’en ressentent, et le chanteur est conduit à surcompenser par le jeu une voix qui fait parfois défaut au point de disparaître derrière le Crespel au métal de bronze de Jean Teitgen. Idéale Muse de timbre et de ligne, Gaëlle Arquez peine pourtant dans le bas-médium de sa partie, surtout depuis le milieu du plateau – vraies qualités stylistiques et projection en partie inadéquate à Bastille partagées avec Véronique Gens : leur Barcarolle en duo est presque inaudible, et l’on apprécie mieux Giulietta à l’avant-scène. Ailyn Pérez dessine une Antonia touchante car à la fois délicate et passionnée, dont l’aigu final tiré ne doit pas faire oublier de très beaux phrasés, partagés avec sa Mère Sylvie Brunet-Grupposo ; Jodie Devos se joue de l’Olympia nymphomane dessinée en son temps par Carsen pour Natalie Dessay, vocalisation brillante et variations personnelles à l’appui. Michael Fabiano a l’énergie vocale requise pour les passages les plus tendus de la partie d’Hoffmann, mais en rien la technique ou le style : les allégements aigus, quand ils sont tentés, le sont d’un pianissimo détimbré, sans aucune voix mixte ; l’élocution française est théorique ; l’expressivité, vériste. La présence et l’implication de l’artiste sont indéniables, mais laissent à distance la spécificité et la couleur propres de la partition. Interventions pêchues du Chœur (qui aurait peut-être en ses rangs un Hermann mieux timbré et mieux en place que celui ici distribué ?). 

Retrouvailles au goût de vieille amitié plutôt que d’amours comblées, donc.

Chantal Cazaux

À lire : notre édition des Contes d’Hoffmann : L’Avant-Scène Opéra n° 235


Photos : Guergana Damianova / OnP