Teresa Iervolino (Ernestina)

Cette nouvelle production de l’édition 2019 du Festival Rossini de Pesaro est une réussite absolue. L’ouvrage de Rossini, son premier opera buffa, fut interdit au bout de quelques représentations seulement, tant le livret de Gaetano Gasbarri avait heurté la censure : une jeune femme qui flirte ouvertement avec son précepteur comme avec son fiancé (l’un aura « l’esprit », l’autre, « la matière »…) ; un père qui engage ledit fiancé à faire sa cour en partant du pied pour remonter vers la main (!) ; un texte riche de sous-entendus lestes, surtout quand vient à passer l’idée qu’Ernestina ne serait autre qu’Ernesto, un castrat travesti. On l’aura compris : on s’amuse beaucoup à cette Équivoque extravagante juvénile, encore pimentée de l’esprit des farces vénitiennes de Rossini, surtout quand un public italophone réagit au quart de tour (et au bon moment) à chaque saillie comique.

Quasi intégralement italienne, la distribution s’amuse elle aussi, aiguillonnée par une direction d’acteurs qui sait doser le burlesque et le licencieux, le timing de mécanique horlogère et le sens de l’espace et des corps sans lesquels il n’est pas d’effet buffo réussi. À ce compte-là, et au-delà des décors de Christian Fenouillat et des costumes d’Agostino Cavalca qui créent un théâtre très 1810 tout en le distordant de façon drolatique (nez-postiches en clin d’œil discret au théâtre de tréteaux italien, faux-culs pour les hommes comme pour les femmes, perspectives faussées et huile sur toile de paysage alpestre d’où une vache nous regarde droit dans les yeux…), le travail de Moshe Leiser et Patrice Caurier est admirable notamment à chaque intervention des chœurs, qui occupent le plateau avec art en y créant des tableaux saisissants, soulignés par les lumières remarquablement réglées de Christophe Forey. Et le Coro del Teatro Ventidio Basso renouvelle ses qualités (voir nos comptes rendus de Sémiramis et du Gala ROF XL), ici agrémentées d’un talent certain pour la gestuelle millimétrée.

Teresa Iervolino compose une Ernestina aussi cocasse qu’attachante, précieuse ridicule qui oscille comme un pendule entre libertinage inconscient et pruderie intellectualisée. On en vient parfois à se demander si sa diction saccadée dans les récitatifs, montrant une jeune femme qui fuit la spontanéité, ne déteint pas un peu sur l’égalité de son timbre jusque dans les numéros principaux ; mais la colorature est déliée, et l’interprète assume la tessiture profonde de ce rôle écrit pour la Marcolini. Drôlissime Gamberotto (le père boursouflé) de Paolo Bordogna et mordant Buralicchio (le fiancé jaloux et sanguin) de Davide Luciano, dont les deux basses bouffes croquent la partition tour à tour ou ensemble ; délicieux Ermanno (le précepteur transi d’amour) de Pavel Kolgatin, et parfait couple de serviteurs aussi valeureux que malhabiles de Manuel Amati (Frontino) et Claudia Muschio (Rosalia). En fosse, Carlo Rizzi et l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI servent la partition d’un Rossini de 19 ans comme ils serviraient ses chefs-d’œuvre bouffes – il est vrai distants de quelques années à peine : c’est fête !

Chantal Cazaux


Paolo Bordogna (Gamberotto)
Photos : Studio Amati Bacciardi