Aubrey Allicock (le jeune Emile Griffith)

Dans le but louable de renouveler son répertoire et d'ancrer résolument l'art lyrique dans le XXIe siècle, l'Opéra de Montréal présente depuis 2013 au moins un ouvrage contemporain ou une création mondiale par saison. Au contraire du Festival d'Opéra de Québec, qui a monté les chefs-d'œuvre The Tempest de Thomas Adès ou L'Amour de loin de Kaija Saariaho, la compagnie montréalaise ne semble pas intéressée par les compositeurs européens et lorgne plutôt du côté américain, avec non pas John Adams ou Philip Glass, mais Jake Heggie (Dead Man Walking), Kevin Puts (Silent Night) et David T. Little (JFK). Si ce dernier titre, donné en janvier 2018, avait laissé une impression pour le moins mitigée, il est clair que le choix de Champion de Terence Blanchard constitue carrément une erreur de programmation. Créé en juin 2013 à l'Opera Theatre of Saint Louis, l'ouvrage s'inspire de la vie du boxeur Emile Griffith (1938-2013), champion du monde dans les années 1960. Le livret de Michael Cristofer s'articule autour du combat livré en 1962 contre Benny Paret qui se termina de façon tragique : rué de coups, Paret plongea dans le coma puis mourut dix jours plus tard. L'acharnement de Griffith est attribuable au fait que son adversaire l'avait insulté en le traitant de « maricón », c'est-à-dire d’homosexuel. Torturé par le remords d'avoir tué un homme, le boxeur mène une existence misérable jusqu'au jour où le fils de Paret vient enfin lui offrir le pardon.

En dépit du caractère dramatique des événements relatés, l'argument s'avère pauvre en rebondissements, s'étire indûment sur deux actes interminables et n'atteint pas à l'universel. On compatit certes aux malheurs du boxeur, à son enfance sans mère, à sa bisexualité douloureuse, à son mariage raté et à sa démence, mais à la vacuité générale du propos se joignent malheureusement un livret au style très relâché et une partition d'une insigne faiblesse. Le trompettiste et compositeur Terence Blanchard signe ici une œuvre qui tient autant de la comédie musicale que de l'opéra et du théâtre sans qu'on sache exactement comment la qualifier. Sur des rythmes de jazz rarement trépidants, l'orchestration fait la part belle aux cuivres et aux percussions. La voix ne trouve guère à s'épanouir dans des mélodies au souffle court, sans compter les trop nombreux passages parlés qui deviennent vite lassants. Les décors fonctionnels, les projections omniprésentes et les costumes sont ceux de la création. Sans grand relief, la mise en scène de James Robinson est trop sage dans certains tableaux qu'on souhaiterait hauts en couleur, comme celui du fameux match ou ceux dans le bar gay.

Globalement satisfaisante, la distribution saurait difficilement être jugée à l'aune habituelle, car la sonorisation, d'une qualité fluctuante au demeurant, fait en sorte que les chanteurs n'aient pas à faire d'efforts pour projeter la voix. Déjà présents en 2013, la basse Arthur Woodley et le baryton-basse Aubrey Allicock défendent avec probité et une belle émotion retenue les rôles du vieux et du jeune Emile Griffith. Personnage le plus choyé par Blanchard, la mère du boxeur, Emelda, trouve en Catherine Daniel une mezzo dont le timbre somptueux se trouve toutefois entaché par un fort vibrato, remarque s'appliquant aussi à la soprano Chantale Nurse (la femme de Griffith). Le ténor Asitha Tennekoon est émouvant en fils adoptif et Victor Ryan Robertson (présent en 2013) sait bien traduire la morgue de Benny Paret puis la commisération de Paret Jr. La meilleure voix demeure celle du baryton Brett Polegato, très convaincant en Howie Albert, manufacturier de chapeaux et confident de Griffith. Malgré l'énergie qu'ils déploient, le chœur de l'Opéra de Montréal et le Montréal Jubilation Gospel Choir ont des effectifs trop réduits pour produire l'impact souhaité. George Manahan connaît bien l'œuvre, qu'il a dirigée à la création, mais ne saurait faire en sorte que l'Orchestre symphonique de Montréal la rende transcendante. Souhaitons en terminant que la direction artistique de l'Opéra de Montréal nous permette d'oublier promptement ce faux pas en faisant preuve d'un meilleur discernement dans le choix de son répertoire.

Louis Bilodeau



Catherine Daniel (Emelda Griffith) et Aubrey Allicock (le jeune Emile Griffith)
Photos : Yves Renaud