Martin Surot (piano) et Stéphane Degout (Golaud) à la "Masterclasse Pelléas" du 18 octobre 2018.


La Salle Favart a ouvert pour une soirée les portes de son atelier musical où s’élaborent les rôles et les voix, pour présenter le fruit d’un travail autour de Pelléas et Mélisande. Après quelques séances préparatoires, dont certaines sous la férule de Jean-Claude Malgoire à la mémoire duquel cette soirée était dédiée, et d’une semaine de masterclasse dirigée par Stéphane Degout, cette version de concert avec piano propose donc aux auditeurs la restitution d’une première étape de travail. L’Opéra-Comique convie son public à partager l’artisanat du son, à consentir à être témoins d’un passage et non juges d’une performance. Tous les interprètes endossent leur rôle pour la première fois, dans le sillage de Stéphane Degout qui donne à entendre les esquisses de son Golaud.

Le chant et le texte sont ainsi mis au cœur de cette soirée au cours de laquelle les spectateurs sont guidés, à chaque début d’acte, par une lecture du synopsis. Aucun dispositif de surtitrage n’est mis en place pour accompagner l’écoute, on postule implicitement que le texte a retenu toute l’attention des chanteurs. Le concert devient alors veillée merveilleuse où l’on dit le conte de Pelléas et Mélisande.

Stéphane Degout aborde le rôle de Golaud fort de son expérience déjà importante de l’œuvre, c’est d’ailleurs au titre « d’extraordinaire Pelléas » qu’il a officié pendant une semaine comme maître-chanteur. Les attentes pour ce nouveau rôle étaient donc fortes. On retrouve immédiatement les qualités qui ont consacré son Pelléas : clarté et intelligence de la diction, justesse des intentions, beauté d’un timbre si personnel et voix sonore. Si, lors de ses dernières apparitions comme Pelléas, on entendait Golaud percer sous le masque, le timbre lumineux de Stéphane Degout rajeunit Golaud et rappelle aux oreilles que les deux personnages sont frères : la rivalité avec Pelléas semble ainsi d’autant plus forte qu’elle ne repose pas seulement sur un décalage d’âge mais sur des différences de caractère. Stéphane Degout rend ainsi à Golaud toute l’ambiguïté de son personnage : égaré et inquiet dans la première scène, il adopte ensuite de mâles accents lors de ses confrontations avec Mélisande.

Son jeune frère est interprété par Jean-Christophe Lanièce, dont la voix séduit par la beauté du timbre brillant et chaleureux qui convient idéalement à la bonté de Pelléas. Sa diction révèle une compréhension sensible du texte : la musique passe aussi par l’intelligence des mots rendue audible. Néanmoins, les moments les plus emportés de la partition mettent parfois en évidence les limites inhérentes à une voix encore jeune.

Les essais présentés par Degout et Lanièce sont de très belles promesses, de bon augure pour de futures représentations.

Entre ces deux frères si bien apparentés, la Mélisande d’Amaya Dominguez déçoit. Le choix d’interpréter par cœur un rôle fraîchement appris, quand l’ensemble des autres chanteurs garde la partition à disposition, semble avoir nui à la disponibilité de l’artiste. Le recours à une vocalité opératique dessine un personnage hiératique, à rebours de l’instabilité et du caractère étonnant de Mélisande, qui ne convainc pas. En outre, cette interprétation plus lyrique que mélodiste procure les uniques regrets d’un dispositif de surtitrage.

Thomas Dear, en Arkel, déploie un chant qui fait apparaître le sage avant le roi. Les inflexions de la ligne de chant, malgré le brouillage qu’occasionne le vibrato, donnent à entendre par la musique ce que la prononciation du texte laisse seulement deviner. À ses côtés, Majdouline Zerari donne vie à Geneviève à travers un timbre suave de mezzo-soprano chaud et parfaitement homogène. Si le texte est dit avec un talent de conteuse, le défaut de mystère révèle les traces d’un travail encore en cours d’élaboration.

L’Yniold de Micha Calvez-Richer, issu de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, fait honneur à la formation dispensée par l’institution. Les interventions sonores et de grande tenue du médecin de Nathanaël Tavernier parachèvent l’ouvrage en se glissant dans l’intimité musicale qui règne dans la salle.

La plus grande révélation de la soirée vient du piano de Martin Surot. Jouant la particelle (ensemble de la composition avant son orchestration, par opposition à une réduction pour piano réalisée à partir de la partition pour orchestre), il révèle combien Pelléas doit à l’œuvre pour piano de Debussy, qu’il s’agisse des mélodies ou du corpus pour piano seul. La partie instrumentale annonce ainsi des œuvres plus tardives comme les Images et les Préludes. Martin Surot relève le défi avec art, nourrissant le discours musical en surmontant les écueils de la discontinuité, l’ambiguïté et la virtuosité de l’écriture debussyste tout en prêtant attention aux chanteurs. Plus que jamais, Pelléas apparaît comme un livre de conte où chaque scène est une enluminure ciselée avec délicatesse, donnant à entendre ce que Debussy écrivait dans une lettre à Edgar Varèse le 12 février 1911 : « J’aime presque autant les images que la musique ».

Jules Cavalié.

À lire : notre édition consacrée à Pelléas et Mélisande / L’Avant-Scène Opéra n° 266


"Masterclasse Pelléas" du 18 octobre 2018.
Photos : S. Brion.