Magali Simard-Galdès (Sophie), Marcel Beaulieu (le Bailli) et Julie Boulianne (Charlotte)


L'Opéra de Québec a eu l'heureuse idée de reprendre le très beau Werther créé à Nancy en mai dernier dans la mise en scène de Bruno Ravella et les décors et costumes de Leslie Travers. Comme Gérard Condé l'a relevé dans sa critique parue sur notre site, toute l'action se déroule à l'intérieur de la maison du Bailli, dans un décor où de grandes peintures murales évoquent la nature que chante le héros. Grâce à de magnifiques éclairages et à un plafond amovible, le décor se transforme pour suggérer les splendeurs du jardin et créer une atmosphère envoûtante. Au deuxième acte, le plafond s'élève à nouveau et nous découvrons alors une sorte de promenade surélevée d'où les amis Schmidt et Johann observent les allées et venues des autres personnages. Au troisième acte, l'appartement de Charlotte, plongé dans le noir, est séparé en deux par un long corridor éclairé par une lumière crue, sorte de préfiguration angoissante du couloir de la mort. La dernière scène se déroule sur le plateau dénudé. Werther gît sur le canapé où il avait connu ses trop courts instants de bonheur avec Charlotte au retour du bal. Reprenant la place qu'ils occupaient au premier acte, les deux personnages s'abandonnent enfin à leur amour. Avant le baiser tant attendu, Charlotte pose délicatement sa tête contre l'épaule de Werther, geste bouleversant de simplicité et de justesse. Toute la mise en scène est à l'image de ce tableau : sobre et originale à la fois. On en veut comme preuve l'interlude entre les deux derniers actes, pendant lequel on voit Albert prostré et visiblement ébranlé par le drame qu'il vient de précipiter en prêtant ses pistolets à Werther. Certaines images s'imprègnent durablement en nous, en particulier au troisième acte. Le rideau se lève sur Charlotte dos au public, qui semble attirée, voire happée par le couloir décrit plus haut ; l'air de Sophie est ici accompagné au clavecin par Charlotte, qui s'effondre de douleur avant d'entamer son air des larmes ; et c'est toujours assise à son clavecin que, de profil, Charlotte est plongée dans la lecture du poème d'Ossian que récite Werther.

Joué dans d'élégants costumes du XVIIIe siècle, ce Werther bénéficie en outre de la direction musicale de Jean-Marie Zeitouni, déjà présent à Nancy. Sous sa baguette, l'Orchestre symphonique de Québec déploie un merveilleux éventail de couleurs et maintient une remarquable tension dramatique. La distribution permet au public québécois d'entendre la Charlotte de Julie Boulianne, qui tient assurément là un de ses meilleurs rôles. Sa voix opulente se coule avec bonheur dans les longues phrases de Massenet, et si le grave pourrait être un peu plus sonore, sa voix s'épanouit dans un aigu glorieux particulièrement impressionnant dans l'air des lettres et celui des larmes. Face à une telle interprète, le Werther d'Antoine Bélanger laisse songeur. Ténor au style châtié mais à la puissance très limitée, il s'est montré bien téméraire en endossant le rôle du jeune poète. Dès son entrée en scène, on le sent à l'extrême limite de ses moyens et ce ne sont pas quelques notes aiguës bien projetées qui peuvent racheter un chant maintenu presque constamment dans le registre du mezza voce et aux couleurs peu variées. À l'inverse, Hugo Laporte est un Albert de grande classe, qui porte beau et à la riche voix de baryton d'une parfaite homogénéité. On retient davantage la Sophie de Magali Simard-Galdès, enjouée et bien-chantante, que le Bailli à la voix étouffée de Marcel Beaulieu. Éric Thériault et Dion Mazerolle se démarquent dans les rôles de Schmidt et de Johann par leur excellente diction et leur complicité évidente. En dépit d'une fâcheuse erreur dans la distribution, ce Werther très émouvant entame fort bien la saison 2018-2019 de l'Opéra de Québec.

Louis Bilodeau.

À lire : notre édition consacrée à Werther / L’Avant-Scène Opéra n° 61


Julie Boulianne (Charlotte) et Antoine Bélanger (Werther)
Photos : Louise Leblanc.