Deux ans après la création du spectacle à Innsbruck, le metteur en scène Renaud Doucet et son décorateur attitré André Barbe reprennent Il matrimonio segreto à Cologne, non pas à l’Opéra de l’Offenbachplatz en travaux depuis 2012, mais dans le cadre temporaire de la Staatenhaus, sur la rive opposée du Rhin. Dans un modeste amphithéâtre circonscrit par des rideaux noirs et à l’acoustique somme toute très acceptable, le dramma giocoso de Cimarosa donne lieu à une vision extrêmement fantaisiste puisque l’action est déplacée à l’intérieur d’un… poulailler. Le joli décor en grisaille représente différents paliers où l’on trouve cage, panier, mangeoire et bottes de foin sur lequel les costumes tranchent agréablement par leurs teintes aux couleurs très vives. Aux six personnages qui tiennent à la fois des êtres humains et des gallinacés, Doucet ajoute six figurants, domestiques et insectes acrobates qui ajoutent à l’action une agitation stérile et pour tout dire lassante. Ce travail scénique, qui rappelle un peu celui de Maurice Sendak, conviendrait fort bien à l’univers de La Petite Renarde rusée de Janáček ou à celui de certains contes pour enfants. S’il est vrai que l’on caquette beaucoup dans Le Mariage secret, la transposition ne fonctionne qu’à moitié, parce que les cocoricos de joie, le grattage du sol par les ergots ou le dandinement des six protagonistes, aussi amusants soient-ils à certains moments, disparaissent complètement dans d’autres scènes en raison d’une action qui ne se prête pas à cette animation de basse-cour. En outre, Doucet se permet trop souvent un humour potache qui tombe à plat et qui n’en fait paraître que plus longue l’exécution quasi intégrale de la partition.

La faute n’en incombe pas à l’orchestre, puisque Gianluca Capuano et l’Orchestre du Gürzenich de Cologne accomplissent un travail absolument extraordinaire : ouverture jubilatoire, subtilité du commentaire orchestral, transparence des cordes et bois enivrants. Dans les récitatifs, Capuano s’en donne à cœur joie au clavecin en inventant une infinité de traits spirituels qui ajoutent au plaisir musical. Le bonheur est plus partagé en ce qui regarde les solistes. Présents à Innsbruck en 2016, Donato di Stefano et surtout Renato Girolami brûlent les planches en Geronimo et comte Robinson, ce dernier possédant la meilleure voix de la distribution. Des deux sœurs, c’est Carolina, Anna Palimina, qui offre le chant le plus solide et le jeu le plus convaincant. L’Elisetta d’Emily Hindrichs réussit à faire oublier un vibrato un peu envahissant grâce à son intelligence musicale. Le Paolino au jeu raide de Norman Reinhardt manque singulièrement de grâce, tandis que la Fidelma de Jennifer Larmore souffre d’une voix sur le déclin et d’un manque de rigueur occasionnel. En somme, le chef-d’œuvre de Cimarosa aurait mérité un écrin plus en harmonie avec l’esprit d’une critique sociale ancrée dans le Siècle des Lumières.

L. B.

A lire : notre édition du Mariage secret / L’Avant-Scène Opéra n° 175


Photos : Paul Leclaire - Oper Köln.